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cherché, ayant soin d’ailleurs que sa piste fût assez visible pour qu’on ne fît pas honneur à un autre du scandale qu’il excitait. Il avait commencé par révéler au public, sous le voile de créations romanesques, tout ce que son cœur renfermait de passions sérieuses ; il finit par dire en son propre nom, dans Don Juan, tout ce que son esprit engendrait de bizarreries ou nourrissait de dépits subalternes. Le lecteur de ses poèmes s’était cru le confident préféré des secrètes souffrances du génie ; le lecteur de Don Juan s’aperçut qu’il était persiflé par une vanité désespérée. Le succès de ce poème s’en ressentit : de tous les ouvrages de lord Byron, c’est celui qui fut le plus contesté du vivant du poète et le premier négligé après sa mort.

En ôtant à lord Byron l’excuse d’une sorte d’excentricité héréditaire, je ne vais pas plus loin que le plus bienveillant de ses juges, Walter Scott, dans la douce sérénité de cette note que je lis au bas d’une page de Childe-Harold : « Le bonheur ou le malheur du poète, dit l’aimable écrivain, ne dépend pas de la nature de ses talens, mais de l’usage qu’il en fait. Une imagination puissante et sans frein est l’auteur, et l’artisan de ses propres désappointemens : ses fascinations, ses tableaux exagérés du bien et du mal, la douleur qu’il en reçoit, sont les maux inévitables attachés à cette vive susceptibilité de sentiment et d’imagination propre aux natures poétiques ; mais le dispensateur des dons de l’esprit, en même temps qu’il a mélangé chacun d’eux d’un alliage particulier et distinct, a donné à l’homme bien doué le pouvoir de les dégager de cet alliage. Une sage et juste prévision a voulu, pour atténuer l’arrogance du génie, que le poète lui-même réglât et domptât le feu de son imagination, et qu’il descendît de lui-même des hauteurs où elle s’élève afin d’obtenir le repos et la tranquillité de l’ame. Les élémens du bonheur, c’est-à-dire de ce degré de bonheur qui s’accorde avec notre existence actuelle, sont répandus autour de nous à profusion ; mais il faut que l’homme supérieur se baisse pour les ramasser : il n’y a point de route royale ni poétique qui mène au contentement d’esprit et au repos du cœur. On y peut arriver dans toutes les classes de la société, et l’intelligence la plus bornée n’en est pas exclue. Réduire nos vœux et nos désirs à ce qu’il nous est possible d’atteindre ; regarder nos malheurs, si singuliers qu’ils paraissent, comme notre partage inévitable dans le patrimoine d’Adam ; réprimer cette irritabilité maladive, qui se rendra bientôt maîtresse, si elle n’est gouvernée ; éviter cette intensité cuisante de réflexion qui torture l’esprit et que notre poète a décrite si fortement dans son brûlant langage : — « J’ai pensé trop long-temps et trop profondément, jusqu’à ce que mon cerveau, travaillant et bouillonnant dans son propre tourbillon, devînt un gouffre de flamme et de fantaisie ; » - descendre enfin aux réalités de la vie ; nous repentir si