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De tous les contrastes qu’offrent les sociétés anglaise et française, celui-là est peut-être le plus sensible. Chez nous, non-seulement le talent n’est pas forcé de s’exiler, mais il ne parvient jamais à se déconsidérer sans ressource. Jusqu’au dernier moment, l’esprit couvre la conduite, et l’auteur innocente l’homme. C’est tout simple. N’avons-nous pas proclamé la suprématie de l’idée, et ne sommes-nous pas jaloux même du droit inconnu qui viendrait après le droit de tout dire ? Là où toutes les idées sont libres, peu s’en faut qu’on ne croie qu’elles sont égales. Le sophiste qui fait aimer à la foule le poison qui la tue n’est chez nous qu’un spéculatif ingénieux et hardi qui nous fait voir de nouveaux aspects de l’esprit humain. Il n’y a de vrai ni de faux absolu ; le faux n’est tout au plus qu’un vrai intempestif, et le vrai que le faux rendu vrai par des conventions arbitraires. Nous n’avons pas de véritable colère contre l’homme qui nous fait du mal avec talent, et, dans tout débat où notre adversaire déploie de l’esprit, nous ne sommes pas assez fiers d’avoir raison pour y tenir fermement. La raison en France a besoin, pour croire en elle, d’avoir la vanité dans son parti. Quand un écrivain a de l’esprit contre nous, nous tenons à être un peu de son côté. Nos mœurs le soutiennent contre nos intérêts et nos principes. Pourtant il vient un moment où le mal fait trop de ravages. Alors nous nous défendons par des lois : c’est pour cela que nous sommes si faibles. Lord Byron en France n’aurait pas eu à s’exiler, tout au plus eût-il couru le risque d’arriver de ce coup au gouvernement.

Je sais que cela est plus aimable, oui, quand on est loin des révolutions ; mais, au lendemain d’un bouleversement où le désordre des idées a eu la principale part, qui n’aimera mieux le spectacle d’une société chez qui la gloire de bien écrire n’absout pas l’écrivain du tort de mal penser ? Qui ne préférera, pour l’honneur même de l’esprit humain, à cette police ingrate et laborieuse des lois qui se tourne toujours contre les gouvernemens, la police secrète et insensible des mœurs ? Les torts de la liberté de la pensée sont d’une nature si particulière, la bonne foi peut si souvent les recommander, la source en est si sacrée, que le châtiment qui les réprime a presque toujours l’air d’une vengeance de la force contre l’esprit. Les verrous tirés sur un écrivain discréditent plus souvent le juge qu’ils ne déshonorent le prisonnier ; mais là où les mœurs font l’office des lois, c’est le coupable lui-même qui s’administre ou qui accepte le châtiment. Personne n’a à porter la main sur le poète qui s’est insurgé contre les croyances de sa patrie, et l’esprit humain est respecté jusque dans la manière dont ses égaremens sont punis. C’est ainsi que la société anglaise châtia les atteintes portées à ses croyances par lord Byron. Il est vrai qu’il n’accepta ni le jugement ni la peine. Il n’avoua que