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Il la quitta en effet dans l’année 1821, et pour n’y revenir jamais. Il avait voulu engager une lutte avec la société anglaise ; il était vaincu. Cet homme, dont les livres étaient dans toutes les mains, et la personne protégée par tous les privilèges aristocratiques et par toutes les garanties des lois libérales de sa patrie, qui n’avait à craindre ni qu’un parlement le décrétât comme Jean-Jacques Rousseau, ni d’être mis à la Bastille comme Voltaire, qui pouvait braver librement et en face toutes les croyances et tous les préjugés de son pays, ce poète si populaire se retirait devant les mœurs de sa nation, admiré pour son génie, chassé pour l’usage qu’il en avait fait. Il n’y eut point de scandale, quoique la vanité de lord Byron en eût espéré. Il rappelle avec complaisance les bruits qui coururent alors. Il ne pouvait plus se montrer au théâtre, lui disait-on, sans risquer d’être sifflé, ni aller au parlement sans insultes. La foule devait s’amasser autour de sa voiture le jour de son départ, et lui faire violence[1]. Il n’y eut ni sifflets au théâtre, où il put voir Kean impunément dans tous ses rôles, ni huées quand il se rendit au parlement voter selon ses principes ; son départ n’attira ni foule ni violence, et le grand poète partit comme Platon voulait qu’on renvoyât les poètes de sa république imaginaire, avec une couronne de fleurs que l’Angleterre lui mettait au front en se le reprochant.

L’ostracisme anglais n’est pas bruyant comme celui d’Athènes. Ce qui forçait Byron de s’exiler, ce n’était pas une sentence de bannissement rendue dans les formes légales, ni une émeute populaire, c’était un souffle, breath : il l’a senti, il l’a dit ; mais ce souffle était assez fort pour courber la tête d’un descendant des Normands de la conquête, comme se qualifiait lord Byron. Personne n’a mieux caractérisé que lui cet arrêt de l’opinion de son pays : « Un homme exilé par une faction, écrit-il à M. D’Israëli, a la consolation de penser qu’il est un martyr ; il est relevé par l’espérance et par la dignité réelle ou imaginaire de sa cause ; celui qui quitte son pays pour se soustraire au poids de ses dettes peut avoir quelque douceur à penser que le temps et la bonne conduite pourront réparer ses affaires ; le condamné que la loi bannit voit un terme à son bannissement, il le rêve du moins ; il peut se consoler par la connaissance ou par la pensée de quelque injustice dans la loi ou dans l’application qu’on lui en a faite ; celui qui est exilé par l’opinion publique, sans avoir contre lui ni griefs politiques, ni jugement illégal, ni affaires embarrassées, celui-là est condamné à toutes les amertumes de l’exil, sans espérance, sans orgueil, sans soulagement. »

Telle était la situation de lord Byron, et certes, quand on lit cette

  1. Lettre à M. D’Israëli.