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Cette discrétion extraordinaire de la société anglaise, quoiqu’à beaucoup de calcul il s’y mêle une disposition naturelle, ne doit pas laisser que de lui coûter. Le sacrifice n’est pas petit de ne jamais parler de soi. Quant à se taire sur autrui, ce n’est guère plus aisé, le principe étant le même qui nous fait parler des autres et de nous. Il doit donc y avoir beaucoup de gêne dans une société où l’on s’interdit l’une et l’autre chose, et c’est en cela surtout que la pratique du self denial est méritoire. Certaines gens se permettront même de qualifier cette retenue d’hypocrisie, et d’autres n’y verront que l’extrême raffinement de la vanité. Quelque chose qu’on en pense, vertu ou travers, ce n’en est pas moins un travail, travail allégé chez les uns par la médiocrité d’esprit et l’habitude, aggravé chez les autres par plus de choses à dire. Il n’y a qu’à regarder un salon anglais pour voir qu’on ne s’y divertit point, et que plus d’un des assistans en est convaincu. Eh bien ! jetez au milieu de cette société gênée, froide, où l’on se cache de tout le monde et de soi-même, au milieu de ces esprits volontairement effacés, que dis-je ? de ces ombres, un homme qui vient leur faire des confessions brutales sur lui-même et sur eux, qui dit le bien et le mal, le bien sans enthousiasme, le mal sans voiles, qui prend de force pour confidens, résistans et presque honteux, ces gens qui ne veulent rien savoir des autres pour qu’on ne s’informe pas d’eux ; jetez au milieu de ce, Salon, où l’on s’amuse si peu, quoiqu’on y rie beaucoup, un livre puissant, provoquant, par lequel les assistans sont révélés à eux-mêmes et dénoncés les uns aux autres, quel effet ! C’est cet effet, c’est ce scandale que produisirent les premières confessions de Childe-Harold. Les héros des poèmes qui vinrent après complétèrent ses confidences. Lord Byron faisait monter de subites rougeurs à plus d’un front que n’avaient jamais troublé que des émotions permises ; il suscitait des doutes au sein de cet acquiescement d’habitude ou de calcul à tous les principes de la société établie ; il soulageait les esprits de cette retenue consentie dans l’intérêt de la conservation sociale, et des sacrifices que l’homme fait en Angleterre à l’animal politique.

Dans ce temps-là, beaucoup de choses étaient tenues pour des vérités hors de contestation parmi les compatriotes de lord Byron, par exemple, les victoires des Anglais sur Napoléon, la bravoure de leurs alliés de la Péninsule. Byron, trop Anglais pour nier les victoires, niait la gloire militaire, niait l’héroïsme et se moquait des braves alliés. Il s’attaquait aussi à des vérités moins douteuses que les victoires de l’Angleterre, et, entre autres, à l’immortalité de l’ame. Malgré cela, ou plutôt à cause de cela, il plaisait. Plaire est un mot trop faible : il remuait, il mettait hors de lui le flegme anglais. Le plaisir des individus était en proportion de l’offense faite aux mœurs publiques.

Pour ceux qui étaient tout bas de son avis, les libres penseurs, free