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« Pourtant, ce n’est pas là leur place ! malgré toutes leurs erreurs, malgré ce souffle de l’abîme qui leur a renversé le sens, ils briseront bientôt une alliance honteuse, ils redeviendront pareils à leurs glorieux ancêtres. N’as-tu jamais vu bondir un cheval, quand il est fouetté par les frelons, quand l’insecte lui enfonce dans les oreilles, dans les naseaux, son dard empoisonné ? N’as-tu jamais vu le taureau, piqué par le taon, rugir, et de sa corne puissante fouiller la terre avec rage ? Chassez l’insecte qui le blesse, toute cette fureur est bientôt calmée. Ce peuple est bon, mais malédiction et ruine éternelle à ceux qui excitaient sa folle colère et qui l’ont abandonné quand l’heure de la mort est venue ! Elevez une colonne, un monument de honte, qui, du haut des cimes nuageuses des Carpathes, regarde au loin les vastes plaines où le sang coule par ruisseaux. Inscrivez-y en lettres gigantesques les noms des pâles coquins qui ont abusé ce peuple, qui l’ont précipité dans la misère et qui ont pris la fuite, oui, les noms de ces ravageurs de villes, de ces hyènes affamées, de tous ceux qui de ces populations heureuses ont tiré du sang et des larmes comme on tira du vin d’une tonne pleine, de ceux qui n’ont su tenir ni l’épée ni le fusil, et qui fuyaient le champ de bataille de toute la vitesse des chevaux, pendant que, leurs dupes tombaient vaillamment, la face ensanglantée. Inscrivez-les tous ! Comme le récit d’une grande action va de bouche en bouche à travers les âges, que la malédiction de leurs enfans accompagne leurs noms dans tous les siècles à venir ! Chaque fois que la tempête ébranlera les montagnes, la tempête les réveillera en secouant leurs cercueils, elle traduira leurs ossemens devant le tribunal, et l’histoire saura la vérité ; mais ceux qui n’ont fait que céder aux excitations, une même tombe doit les réunir à nos morts. — Et ceux qui vivent ? Eh bien ! voici notre main, pardonnons-leur. S’ils reviennent à nous, oublions leur courte honte, ne songeons qu’à leurs longues années de gloire. »

L’invective, comme on voit, tient au moins autant de place que la pitié dans ces poésies de M. de Zedlitz, et elle y prend souvent une grandeur singulière ; l’assassinat du comte Lamberg sur le pont du Pesth devait aussi évoquer chez le poète des paroles et des images vengeresses ; soyez sûr qu’il n’a pas manqué à sa tâche. Il n’y a pas manqué non plus lorsqu’à la fin de son livre il dessine vigoureusement les portraits de tous les généraux autrichiens, Windischgraetz, Radetzky, Jellachich, Haynau. Schlick, Nugent, Welden, Hess, Schwarzenberg. C’est comme une salle des maréchaux où le jeune empereur François-Joseph Ier occupe la première place. M. de Zedlitz ne se soucie pas de savoir s’il y a dans cette liste des personnages impopulaires, si certains noms ne réveillent pas des souvenirs qu’il vaudrait mieux écarter. Sans jeter de défi à ses adversaires, il est décidé à ne rien sacrifier de ce qu’il pense. Il excelle surtout à mettre en relief les actions d’éclat, l’intrépidité aventureuse ou tranquille, l’héroïsme rehaussé par la noblesse des cheveux blancs ; il y a de magnifiques portraits dans ses vers : ces deux vieillards, par exemple, qu’il appelle les deux aigles ; le maréchal-de-camp Berger, qui, après s’être battu contre nous à Leipzig à la tête d’un régiment hongrois, s’est vu forcé, trente-six ans