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chassé les bandits ; la divine statue de la liberté, c’est nous, prêtres de l’honneur, qui lui avons rendu son éclat, c’est nous qui avons fait disparaître ses souillures sanglantes. Nous lui avons élevé un temple dont nos corps étaient les murailles, et sur les portes nous avons imprimé le sceau du droit éternel, du droit unique et commun à tous les hommes. » — Ces vers paraîtront étranges ; on ne s’attendait pas à voir la liberté appelée en témoignage par le Tyrtée de l’armée autrichienne. Qu’on y songe bien cependant le poète exprime avec résolution un sentiment qui n’est que trop vrai ; il jette un cri qui a retenti au fond de bien des urnes, et qui éclairera pour l’historien cette désastreuse campagne. Entre l’armée de Radetzky et les révolutionnaires de Milan ou de Rome, si l’on demande de quel côté était la liberté, l’hésitation n’est pas possible ; la liberté n’était ni à Rome ni à Milan. N’y avait-il pourtant que ces démagogues ? Oublions-nous les Piémontais ? Non, certes ; mais telle est l’horreur de la démagogie, que son apparition seule évoque immédiatement la vengeance et que toutes les causes intermédiaires disparaissent dans ce conflit. La démagogie est condamnée à ruiner tout ce qu’elle touche. En France, elle s’est chargée un jour de nos libertés et de nos progrès, et jamais la liberté n’a dû faire de plus cruels sacrifices, jamais le mouvement progressif de notre pays n’a été plus violemment arrêté. En Italie, la démagogie a pris sous sa protection la cause de l’indépendance italienne, et la cause le l’indépendance italienne est pour long-temps perdue. À ce point de vue, M. de Zedlitz n’a pas tort de le proclamer avec force ; puisque ses frères d’armes combattaient contre la démagogie, ils combattaient pour la liberté et pour le droit éternel !

Le volume consacré à la Hongrie est d’une allure moins véhémente. La pensée est grave, attristée, les entraînemens de la lutte ont disparu, et le triomphe, si cruellement acheté, est pour le poète une source d’inspirations douloureuses. On ne lira pas sans émotion une belle pièce intitulée le Soldat et le Voyageur. — Que fais-tu là ? dit le voyageur. — J’élève, dit le soldat, un monument funéraire ; je plante des cyprès sur la tombe des morts. — Pourquoi ces signes de deuil et non un trophée ? — Ne parle point de trophée ; ce sont nos frères dont les cadavres sont couchés dans ces sillons. — Ces frères nous ont trahis ; éloigne cette pitié inopportune ; sonnez, clairons, sonnez la victoire de la patrie ! — Non, non, poursuis ta route, ô voyageur ! et laisse-moi rassembler ces pierres en l’honneur de mes morts. Les joyeux clairons ne doivent pas sonner ici. J’aime ces vaillans Magyars, j’ai partagé leur gloire et leurs périls, je les ai vus vaincre, je les ai vus mourir bravement et fidèlement. Jadis ils pouvaient marcher le front haut à côté de ce qu’il y a de meilleur dans le monde. Où sont-ils maintenant ? La honte est leur compagne.