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qu’une seule chose à la révolution, une inspiration plus décidée et de plus mâles allures. Ces doux et paresseux rêveurs, ces artistes trop insoucians qui redoutaient comme une souillure le moindre contact avec les choses réelles, on les a vus tout à coup se jeter dans la mêlée et faire entendre, au milieu du sifflement des balles, des accens inattendus. Écoutez Grillparzer et Zedlitz : ce sont deux vieillards, deux têtes blanchies par l’âge, et personne n’a ressenti avec une émotion plus juvénile, personne n’a plus intrépidement exprimé l’horreur de la démagogie. Le premier est un sage harmonieux qui avait consacré plus d’une fois en dés drames touchans et purs la sereine élévation de sa pensée ; le second est une imagination brillante, qui suivait dans les forêts enchantées les traces d’Ariel et de Titania On reprochait à l’un sa gravité un peu froide, à l’autre l’élégance affectée et les subtiles recherches de son langage. Au premier bruit de l’émeute, Grillparzer et Zedlitz prennent en main l’héroïque lyre de Max de Schenkendorf et de Théodore Koerner, la lyre qui chantait les combats, l’honneur et la patrie allemande. Les campagnes d’Italie et de Hongrie ont eu leurs poètes, et il y avait quelque courage en 1848, en face des factions soulevées, à célébrer dans une cause si ingrate le patriotisme et le respect du drapeau. Certes, pendant cette douloureuse guerre du Piémont, tandis que les démagogues de Rome, de Florence et de Milan, toujours prêts à l’émeute et à l’assassinat, évitaient si prudemment les champs de bataille, nos sympathies étaient pour les seuls champions que la liberté constitutionnelle ait trouvés à leur poste nous suivions avec anxiété à Curtatone, à Vicence, à Peschiera et à Novarre le roi Charles-Albert et sa vaillante armée. Rien n’est plus facile pourtant que d’honorer un loyal adversaire ; nous n’avons pas gardé rancune à nos ennemis de 1813, à ces ardens poètes qui soulevaient contre nous toute l’Allemagne et qui ébranlaient à Leipzig la fortune de l’empereur : comment refuser notre estime à ceux qui, en 1848, défendaient ou chantaient le drapeau de leur patrie ? Ce qui me frappe surtout ici, c’est la franchise intrépide de ces écrivains, c’est ce premier mouvement qui les pousse sans hésitation et sans peur sous la bannière qu’ils doivent suivre. Toutes les idées étaient brouillées, tous les sentimens pervertis par les tartufes de la démagogie ; patrie, fidélité, honneur, ces mots sacrés étaient flétris par les tribuns, et nombre d’esprits honnêtes ne savaient où trouver leur voie au milieu des ténèbres que tant de sophismes épaississaient autour d’eux. Ceux-ci n’ont pas éprouvé de doute ; ils ont obéi à la sûre voix de l’instinct, ils ont suivi ces sentimens primordiaux auxquels il faut toujours revenir dans des temps comme les nôtres, où il y a des systèmes pour absoudre chaque passion mauvaise, des mensonges pour glorifier toutes les lâchetés, De là les saines inspirations des rouvres que je si-