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illusions de l’autorité, sont un des plus singuliers spectacles qu’ait donnés l’Europe ; parmi tant d’expériences qui ne doivent pas être perdues, la conduite du pouvoir à Vienne, du 13 mars à la fin d’octobre, est certainement une des plus étranges et des plus instructives. Les documens commencent à abonder sur ce point. Révolutionnaires, libéraux, hauts fonctionnaires de l’état, tous ont contribué, par leurs souvenirs personnels, à mettre en lumière l’incertitude profonde des conseils supérieurs. L’auteur de la Genèse de la Révolution a éclairé plus que personne cette terrible époque. Après avoir loyalement signalé les vices de l’ancien régime, il soumet à une critique intelligente et ferme tous les actes du pouvoir pendant cette période de dissolution et de ruine. Ce n’est pas une œuvre de rancune, aucune passion haineuse n’enflamme l’auteur ; il ne formule point d’accusation contre les hommes ; il note seulement avec une tristesse sentie les fautes désastreuses qui furent alors commises, il signale chaque défaite de l’autorité, il dévoile les causes de cet abaissement continu, et cette calme exposition des faits répand sur le tableau une désolante lumière. Il est désormais hors de doute que le ministère Pillersdorf, continuant par son optimisme la quiétude d’autrefois, entretenait l’anarchie en voulant faire le bien, et que, sans l’inertie du pouvoir, la patente constitutionnelle du 15 mars, cette victoire inespérée et plus que suffisante, à coup sûr, pour les besoins démocratiques du pays, n’eût pas fait place à la dictature d’une démagogie aveugle. Ce qu’on faisait ici par ostentation théâtrale, on le faisait à Vienne avec la complaisante paresse du caractère autrichien ; on avait l’air de jouer avec la révolution. Ici, on montait sur des tréteaux, on organisait des mascarades, bulletins et discours ministériels pindarisaient à l’envi pour cacher l’incapacité des gouvernans ; là-bas, de la meilleure foi du monde, on s’abstenait, et quand la position était si belle, quand le gouvernement constitutionnel pouvait si facilement établir ses bases, on faisait bénévolement mille avances à la révolution démagogique. La fuite de l’empereur Ferdinand au 17 mai, la nomination de l’archiduc Jean à une sorte de gouvernement intérimaire, le pouvoir divisé entre le ministère et l’archiduc, l’imperturbable confiance de M. de Pillersdorf, les privilèges inouis accordés aux clubs, qu’est-ce que tout cela, sinon des invitations à l’anarchie ? L’anarchie y répondit, et l’issue fut sanglante ; depuis le ministère Pillersdorf jusqu’aux journées d’octobre, la société autrichienne roule sur une pente qui devait aboutir aux abîmes ou aux répressions sans pitié.

Malgré le désir qu’il avait de trouver quelque part un simulacre de résistance intelligente, malgré le soin qu’il met à la chercher, l’auteur de la Genèse de la Révolution est obligé de déclarer avec tristesse que l’armée seule a fait son devoir. La première défaite de l’esprit révolu-