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on en est encore fort loin chez nous ; mais l’Amérique du moins a certainement grandi. Il est telle idée chez M. Éliot qui, à elle seule, indique une complète transformation dans l’esprit des hommes. Jusqu’à ces derniers temps, on aurait difficilement trouvé un penseur qui, en jugeant les Romains, n’eût pas célébré leur patriotisme immodéré comme leur plus grand titre de gloire. Aux yeux de tous, ce qui en faisait des héros, c’était précisément la fougue avec laquelle ils sacrifiaient tout, même leurs enfans et leur conscience, aux intérêts de leur patrie ou de leur parti. Dans cet héroïsme, au contraire, M. Éliot n’a vu que le signe douloureux de ce qui leur manquait. « Le Romain, a-t-il écrit, ne savait se dévouer qu’au pays et à sa propre classe ; rarement il lui fut donné de comprendre qu’il pouvait être nécessaire de tenir compte des intérêts d’autrui. » À notre avis, c’est un véritable événement historique que l’apparition de cette répulsion morale tout nouvelle, de cette tendance à regarder l’esprit de parti comme un mal et un danger, tandis qu’autrefois on ne concevait rien de plus noble que de servir quand même son parti, rien de plus honteux que de l’abandonner, lors même qu’on ne pensait pas comme lui. Si ce n’est pas là un fait dans le sens usuel du mot, il y a là l’étoffe de bien des faits, de bien des transformations sociales, et peut-être ce progrès moral est-il plus important pour l’avenir que beaucoup d’événemens plus bruyans de ces soixante dernières années.

j. milsand.


THÉÂTRES.

La saison musicale de cette année laborieuse, qui porte peut-être dans les plis de son manteau la grande solution dont se préoccupent tant les hommes d’état, paraît s’annoncer d’une manière brillante. D’abord Paris possédera enfin un véritable, théâtre italien, dont on peut dire qu’il est privé depuis la révolution de février. M. Lumley, directeur du Théâtre de la Reine à Londres, a été investi, par M. le ministre de l’intérieur, du privilège que possédait M. Ronconi. M. Lumley passe pour un homme habile et passablement heureux : réputation de bon augure aussi bien au théâtre qu’à la guerre. Il paraît donc certain que M. Lumley nous arrive avec une troupe formidable de grands virtuoses ; parmi lesquels il nous suffira de citer Mme Sontag et M. Lablache. L’ouverture du Théâtre-Italien aura lieu le 1er  novembre prochain. En présence d’un rival aussi redoutable, que fait l’administration de l’Opéra ? Elle se débat trop souvent au milieu des plus grandes incertitudes ; elle ne sait trop encore à quel dieu se vouer ni à quel maître elle doit confier ses destinées. Les répétitions de l’Enfant prodigue de M. Auber sont retardées, la mise en scène du Génie de la Nuit, opéra en deux actes de M. Rosenheim, pianiste éminent et musicien distingué, a été abandonnée, pour la dixième fois. On nous promet cependant prochainement le Barbier de Séville de Rossini, chanté par Mlle Alboni ou Mme Laborde, MM. Roger et Barroilhet. En attendant, et pour nous consoler un peu de tant de mécomptes, on a repris le Prophète de M. Meyerbeer. Mlle Alboni, qui, heureusement