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comme il y a des siècles, l’esprit naïf, le goût artistique et la robuste gaieté de la race flamande. On n’imagine pas l’empressement avec lequel les gens de la campagne ont répondu à l’appel des citadins. Quatre cents chariots, attelés de bœufs ou des lourds et superbes chevaux nourris sur cette grasse terre, ont défilé dans les rues de la ville, encombrés de paysans, tapissés de lierre, de houblon et de mousse, chargés des plus belles denrées de chaque village. On eût dit que Bruges, toute parée pour la circonstance de sapins verdoyans, de décorations, de trophées et d’emblèmes, avait retrouvé sa gloire du XVe siècle, tant il y avait de mouvement, de joyeux entrain dans la foule qui se pressait au pied de ses édifices, où ne respirent d’ordinaire que les souvenirs du passé.

Il s’en faut pourtant que ce soit le passé qui revive, ou qu’on veuille faire revivre chez nos voisins avec ces exhibitions romantiques : au plus beau de la fantasmagorie percent toujours le sentiment des choses positives et l’intelligence pratique des devoirs du temps. On aperçoit en toutes rencontres la mâle satisfaction d’avoir rempli jusqu’à présent ces devoirs difficiles, et c’est une leçon consolante pour le reste de l’Europe, agitée par les révolutions, que de voir le peuple belge grandi si fort à ses propres yeux par le témoignage même qu’il se rend d’avoir su les éviter. Il y a quelque chose de plus curieux encore et de plus méritoire dans une époque où presque toutes les sociétés semblent à la veille de se dissoudre, faute d’union entre les pouvoirs publics : c’est l’accord parfait qui unit en Belgique ces pouvoirs distincts, mais solidaires, et les guide dans l’accomplissement de l’œuvre qui leur est commune ; pouvoir exécutif, pouvoir parlementaire, souveraineté nationale, toutes ces forces, ailleurs divisées, ne forment là qu’un seul et même faisceau sur lequel l’état repose en complète sécurité. Les vœux légitimes du pays prévalent dans de libres élections qui ne sont ni contraintes par les mesures administratives, ni envahies par les violences démagogiques. Le pays est assez mûr, l’esprit en est assez solide pour se corriger lui-même à temps. Ce changement de front que la France de 1848 souhaitait dans la direction de ses affaires, et dont le seul désir lui a valu purement et simplement une révolution de plus, la Belgique l’avait exécuté d’elle-même et sans trouble en 1847. Le parti ultra-catholique disparut alors du cabinet en même temps que des chambres devant l’expression légale de l’opinion publique ; toute l’opposition qu’il fait maintenant se réduit à quelques bouderies insignifiantes contre la nouvelle loi du 1er juin 1850 sur l’enseignement secondaire. Les Belges, qu’on n’accusera pas du moins de contrefaçon politique, ont fait justement tout l’inverse de ce qu’ils nous voyaient faire ; ils ont cru qu’il était bon d’accorder à l’état une part plus large dans l’éducation de la jeunesse, trop exclusivement abandonnée jusque-là par leurs usages soit aux établissemens ecclésiastiques, soit aux établissemens communaux ; c’était le moment où chez nous, au contraire, on eût voulu le déposséder de cette tâche qui lui appartient à mille titres, en le déclarant incapable d’y suffire. La loi belge a rencontré pour adversaires les mêmes hommes qui ont provoqué la nôtre et n’estiment pas qu’on leur ait fait encore assez de concessions ; mais cette hostilité ne se traduit que par des accès de mauvaise humeur ou des refus de concours qui ne tirent point à conséquence, et n’altèrent point sérieusement l’harmonie d’un pays si stable et si sage dans ses étroites proportions. Quel est donc le secret