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de sève à dépenser ne calculent pas de si près le mérite des objets pour lesquels ils la dépensent ; mais le frottement des rouages de notre vieille machine nous a tous si usés, qu’on est excusable de ne plus hasarder ses efforts sans compter, de ne plus s’échauffer qu’à bon escient, de se ménager un peu sur les petits côtés qu’il y a dans tous les partis qui nous tiraillent, et de réserver son zèle aux grandes causes que les partis n’embrassent pas toujours pour elles-mêmes. Cette disposition, qui nous paraît gagner autour de nous, n’a pas laissé de nous atteindre aussi. Nous avons peur que la Chronique ne s’en ressente, et que ce désabusement avec lequel nous envisageons quelques personnes et beaucoup de choses ne nous rende la sincérité trop facile.

Il y aurait pourtant à cette sincérité, dont nous ne pouvons mais, deux inconvéniens, deux torts sur lesquels nous demandons à nous expliquer d’avance. À traduire ainsi de propos délibéré, vis-à-vis des partis et de leurs exigences si mobiles, l’exacte impression des gens désintéressés qui les regardent, on court d’abord le risque de contrarier des arrangemens que l’on voudrait respecter, si l’on ne consultait que les égards qu’on doit et qu’on est heureux de devoir à leurs auteurs. Les grands hommes ont toujours su le prix que valait leur amitié ; aussi leur amitié s’offense-t-elle aisément, et traite d’infidélité tout ce qui n’est pas une complaisance. Il faut craindre de mettre à l’épreuve ces natures si vulnérables ; il ne faut toucher qu’avec précaution à l’arche de leurs commandemens, mais il ne faut pas s’attendre à voir ses précautions constamment heureuses. Il est sage de se préparer à souffrir en silence le chagrin de n’avoir pas réussi, et d’ensevelir au dedans de soi le regret des attaches qu’on a desserrées ou dissoutes autrement que par sa faute. La seconde difficulté de ce franc langage que nous aimerions à tenir, c’est de garder sa plume de toute intempérance inutile dans les questions de personnes. Celle-là nous inquiète moins, parce qu’il n’est ni dans nos intentions ni dans nos habitudes de la chercher gratuitement. La presse militante aurait bientôt succombé sous les embarras croissans qui l’assiègent, si elle n’apprenait à séparer dans ses luttes l’homme de l’écrivain ; nous l’avons dit plus d’une fois, et cependant un portrait que nous tracions ici l’autre jour a éveillé des susceptibilités que nous serions fâchés de provoquer, lorsque rien ne nous empêche d’y satisfaire. Nous nous plaignions justement que le journaliste fût trop tenté maintenant de se poser en personne publique, et nous en agissions assez librement avec la personne publique qu’on nous abandonnait, pour montrer les mauvais côtés de ce genre d’abandon. Faut-il répéter encore qu’il n’y avait point là d’insinuations hostiles au caractère de l’homme privé ? En vérité, nous en donnons acte.

Parlons d’affaires plus graves. Nous avons bien l’air de ne nous être arrêtés si longuement aux nôtres que parce que celles de la patrie semblent de prime abord nous laisser tous les loisirs désirables. Nous ne croyons pas néanmoins que le moment soit bon pour en prendre trop fort à son aise, et nous n’avons point l’esprit si dégagé qu’on pourrait le supposer à nous voir ainsi converser de peu de chose. La scène politique est à vide, il ne s’y produit que des incidens de l’ordre le plus secondaire, et jamais cependant les rôles n’ont été plus sourds aux acteurs qui les portent. La grosse affaire, toute l’affaire de cette quinzaine, ce sont les parades militaires, revues de Saint-Maur, revues de Satory. Hors de là, rien que du silence et de l’ombre sur le théâtre et même