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avec une passion toute maternelle, se donne pour la mère de l’enfant que Josette a mis au monde ; mais ce dévouement, si admirable en lui-même, est entouré de circonstances si banales, qu’il produit à peine la moitié de l’effet qu’on pouvait en attendre. L’amour de Josette pour le maréchal-des-logis qui tombe de cheval devant sa porte, l’emprisonnement de la sage-femme, la dureté du juge qui interroge Geneviève, loin d’agrandir la figure de l’héroïne, la réduisent aux proportions de la réalité la plus prosaïque. Ce n’était vraiment pas la peine de tonner si fièrement contre toutes les littératures pour raconter une histoire de village avec tant de prolixité. Cependant je serais injuste envers M. de Lamartine, si je ne reconnaissais pas qu’il y a dans son livre une cinquantaine de pages vraiment attendrissantes. Les fiançailles de Geneviève avec le colporteur, son retour à Voiron et la colère de Josette en apprenant qu’elle va perdre sa sueur, sont bien racontés, quoique le nombre des mots ne soit pas en rapport avec le nombre des idées. Les caresses et les sanglots des deux sœurs exciteraient en nous une émotion plus profonde, si l’auteur ne prenait pas à tâche d’épuiser les images qu’il appelle à son secours. Quand Geneviève, devenue mère à son tour, mais dont la maternité est sanctifiée par le mariage, partage le lait de ses mamelles entre son fils et un enfant trouvé qui n’a pour nourrice qu’une chèvre aux mamelles à demi taries, l’auteur, pour peindre cette exubérance de tendresse, trouve des couleurs vives et vraies. Quoique cet épisode n’occupe certainement pas le premier rang dans la pensée de M. de Lamartine, c’est, à mon avis, la meilleure partie de l’ouvrage. Quant au dénoûment, il ferait sans doute merveille dans un mélodrame : dans un récit destiné à l’enseignement du peuple, il est parfaitement déplacé. Ce dénoûment, en effet, manque à la fois de clarté et de simplicité. L’intervention imprévue de la tante du maréchal-des-logis et du juge de paix, la lutte inutile de Geneviève pour garder l’enfant qu’elle a nourri, et qui se trouve être l’enfant de Josette, excellentes sur un théâtre de boulevard, n’ajoutent rien à l’attendrissement du lecteur.

Malheureusement ces défauts ne sont pas les seuls que je doive signaler dans Geneviève. Si l’action principale n’est pas racontée avec toute la sobriété que le goût commande, les épisodes qui viennent se grouper autour de cette action sont à leur tour racontés avec une prolixité désolante. Geneviève, avant de trouver un asile chez l’abbé Dumont, traverse une série d’épreuves parfois douloureuses, trop souvent puériles. Que la sœur de Josette perde sa condition parce que sa maîtresse apprend la faute dont elle s’est déclarée coupable sans l’avoir commise, c’est là sans doute une source d’émotion ; mais que Geneviève, éprise de tendresse pour un mouton, offre à son maître une part de ses gages pour conserver son nouvel ami qu’on veut mener à la