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renonce à la déclamation, quand il consent à raconter, ce n’est pas l’histoire qu’il raconte, c’est la biographie anecdotique des personnages avant l’heure où ils entrent en scène. Comme il n’apporte pas dans le choix de ces anecdotes une critique sévère, comme il ne prend pas soin de les trier, avant de nous les offrir, comme il les accepte à peu près de toute main, il arrive à son insu à oublier l’histoire pour le roman, et c’est précisément par le roman que les Girondins ont réussi. Les partis qui divisaient la France à la fin du siècle dernier ne sont ni classés ni jugés avec l’austérité ou la simplicité que l’historien ne doit jamais oublier ; mais le roman nous introduit dans la vie intérieure de tous les personnages, et les esprits oisifs dévorent avidement cette puérile parodie de l’histoire. Ce livre trop vanté n’enseigne rien à L’ignorance, ne rappelle rien à ceux qui savent : c’est un assemblage d’épisodes racontés parfois avec entraînement, mais qui ne laissent dans la mémoire aucune trace durable, et enveloppent de ténèbres toutes les notions de moralité politique.

Il est facile de comprendre que la préface de Geneviève excite dans l’ame du lecteur crédule une immense curiosité. Cette revue rapide de toutes les littératures déclarées insuffisantes pour les besoins du peuple donne à tous le droit d’attendre une œuvre absolument nouvelle. Si les intelligences éprouvées déjà par de nombreuses déceptions ne se laissent pas prendre à cette amorce, la foule, qui n’est pas prémunie : contre le danger, espère trouver dans Geneviève un récit d’un genre ignoré jusqu’ici. L’espérance de la foule est-elle justifiée ? Personne, je crois, ne pourra dire oui après avoir lu Geneviève.

Geneviève, d’après le témoignage de M. de Lamartine, est le nom vrai du personnage qui figure dans Jocelyn sous le nom de Marthe. Dans l’intérêt de Jocelyn, je crois que l’auteur eût bien fait de ne pas nous raconter l’histoire de Geneviève ; la création poétique aurait gardé plus de jeunesse et de fraîcheur. L’abbé Dumont, des premières Confidences, loin d’ajouter quelque chose à la valeur de Jocelyn, a plutôt terni l’éclat de cette admirable figure ; je crains bien que Geneviève ne diminue la grandeur de Marthe comme l’abbé Dumont a diminué la grandeur de Jocelyn. Geneviève, j’en conviens, est un modèle d’héroïsme et de dévouement ; mais son héroïsme, pour se montrer à nous dans toute sa splendeur, aurait besoin de se développer dans un épisode unique. Or, cette condition si impérieuse semble avoir échappé à l’intelligence de M. de Lamartine. L’auteur de Geneviève, au lieu de nous montrer la principale figure de son récit dans une action unique et simple, a multiplié les épreuves imposées à cette fille généreuse, et presque effacé la douleur de ces épreuves en s’efforçant de les rendre vulgaires. L’heure vraiment poétique, vraiment grande, est celle où Geneviève, pour sauver l’honneur de Josette, de sa sueur qu’elle aime