Jusqu’à présent, l’on n’avait pas imaginé d’improviser, en matière d’impôt, une transformation soudaine ni complète. Les hommes d’état qui savent que les meilleures taxes sont celles qui ont pris racine, grace à une expérience séculaire, dans les mœurs des populations, et que les impôts les plus savamment combinés, par cela seul qu’ils sont nouveaux, doivent rencontrer les plus grands obstacles, s’étudient, dans les mesures de réforme, à modifier graduellement plutôt qu’à changer de fond en comble l’assiette des contributions. Ce fut ainsi que l’assemblée constituante remplaça la taille et les vingtièmes par un impôt direct basé sur le revenu du sol. Les hommes de février eux-mêmes, qui ne craignaient pas, au moment où ils voyaient se dessécher, sous le feu de la désorganisation révolutionnaire, les sources du revenu public, de retrancher la taxe des boissons, et avec cette taxe, un produit de 100 millions, s’attachèrent du moins fortement à l’impôt direct comme à l’ancre de salut des finances, et quand ils proposèrent l’impôt sur les assurances, ce ne fut qu’à titre d’essai et pour procurer au trésor une ressource supplémentaire de 40 millions. M. Garnier-Pagès, auprès duquel M. Pelletier est un Érostrate en finances, ne brûla pas du moins l’arche précieuse de l’impôt avant d’avoir éprouvé la solidité et la fécondité de la nouvelle matière imposable ; mais peut-on s’étonner de ce que le socialisme, qui prétend transformer la société tout entière, songe à transformer le budget ?
Les disciples de saint-Simon, qui procédaient eux aussi par voie de rénovation, mais qui avaient donné au mécanisme du crédit une attention plus intelligente que les acolytes de M. Proudhon ou de M. Pierre Leroux, proposèrent en 1831 de substituer l’emprunt à l’impôt pour subvenir aux dépenses publiques. Dans ce système, le capital de la dette pouvait impunément s’accroître chaque année, car la baisse de l’intérêt, que les publicistes du Globe supposaient infaillible et incessante, progressive et infinie, devait, par la réduction de la rente, ramener constamment les charges de l’état au même niveau. L’état avait-il besoin d’un milliard pour couvrir ses dépenses, il ouvrait un emprunt de pareille somme, en échange de laquelle il inscrivait au grand-livre une rente de 50 millions. L’année suivante, et pour faire place à de nouvelles inscriptions sans troubler l’équilibre financier, on réduisait l’intérêt de la rente d’un dixième ou d’un vingtième. D’année en année ou de lustre en lustre, la même opération devait se renouveler. Le mal est que l’intérêt de la dette, en supposant les circonstances les plus favorables ne peut pas se réduire aussi vite que s’accroît e capital des emprunts. Ajoutez que la baisse progressive de l’intérêt en partant de 5 pour marcher, quoique sans l’atteindre, vers zéro à un terme nécessaire, tandis que les besoins de l’état, en admettant qu’ils n’existent pas, se renouvellent sans terme prévu ni possible.