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une sinécure, et du ministre, dans l’ordre politique, un véritable dictateur.

Cette chimère du ministre unique, que les socialistes n’ont pas inventée, mais qu’ils adoptent, procède de la même pensée que le gouvernement personnel dans les monarchies. C’est le même rêve descendant ici d’en haut, et montant là d’en bas. On oublie que la complication des affaires introduit forcément, dans l’état comme dans l’industrie et comme dans le commerce, le principe de la division du travail. On imagine qu’un seul homme peut porter le poids du gouvernement, et, pour alléger le fardeau, tantôt on veut réduire le gouvernement à la politique, ce qui est le propre des monarchies quand elles dévient du régime parlementaire, tantôt l’on prétend supprimer la politique et faire du pouvoir une machine purement administrative pour caresser les instincts d’une ombrageuse démocratie. De quelque part qu’elle vienne et au profit de quelque ambition qu’elle ait été conçue, cette théorie est inapplicable. On ne sépare pas à volonté l’administration de la politique. Quelque système que l’on adopte, que l’on calque sa méthode sur le despotisme bureaucratique de la Prusse ou sur la liberté de l’Angleterre, on ne fera pas de l’administration un automate qui n’ait besoin ni d’une direction ni d’un moteur. La politique agit sur l’administration, et l’administration réagit sur la politique. Voilà ce qui entretient dans le corps social la circulation et la vie. Le gouvernement, pour être à la fois rationnel et pratique, doit résider dans un conseil des ministres, où chacun, en participant à la direction générale des affaires, apporte l’expérience de la spécialité à laquelle il préside. Au-dessus plane le pouvoir qui représente, comme roi constitutionnel ou comme chef de la république, deux principes que l’on doit toujours mettre à l’abri des mouvemens d’opinion, à savoir, l’unité et la durée.

Au demeurant, le ministre unique de la république sociale, avec des intentions de despotisme, ne sera qu’un roi fainéant qui végétera sous la tutelle d’une infinité de maires du palais. Pour éviter la division du travail au sommet de la hiérarchie, on l’aura portée à l’extrême dans les rangs secondaires. Tout chef de bureau se considérera comme ministre, et, pour peu qu’il tienne son autorité de l’élection, l’on verra fleurir et se développer l’anarchie à tous les étages du pouvoir. Ce régime doit amener bien vite l’abaissement des fonctions et la multiplicité des fonctionnaires. Je m’explique à merveille que M. Pelletier l’ait coté à si haut prix, quand il s’agit pour lui de procurer à tout catéchumène socialiste sa part du budget et du gouvernement.

La monarchie de 1830 nous avait légué, pour l’année 1848, un budget de 1,500 millions. L’avènement de la république nous a valu 200 millions d’augmentation dans les dépenses. La république démocratique