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Cependant les chiffres qu’il aligne dans son budget semblent, au premier aperçu, déposer du contraire. En effet, les assurances, les chemins de fer, les houillères, les salines et autres industries, qu’il achète pour 90 millions de rentes, sont portés aux recettes pour un produit brut de 1,232 millions. Retranchez 400 et quelques millions pour les frais d’exploitation, suivant les calculs de M. Pelletier lui-même, et vous trouverez encore un revenu net de 800 millions, revenu qui représente près de 900 pour 100 du prix d’acquisition. Nous ne dirons pas à M. Pelletier que « dans ses heureuses mains le cuivre devient or ; » mais nous lui demanderons au nom de quel principe de politique ou de morale il revendique pour l’état le droit d’acheter l’or au prix du cuivre ?

Pour rendre plus sensible l’erreur des calculs dans lesquels s’est jeté M. Pelletier, erreur commune à tous les projets de rachat, il n’y a qu’à regarder sur quelles bases il établit l’indemnité que l’état devrait servir aux compagnies de chemins de fer. Le réseau français doit avoir, comme chacun sait, une étendue d’environ 5,000 kilomètres. M. Pelletier suppose que 3,979 kilomètres[1] sont exploités ou à la veille de l’être, que ces chemins ont coûté ou coûteront 1,760 millions aux compagnies et 457 millions à l’état. Sans discuter ces bases, qui s’écartent quelque peu des faits, on comprend difficilement que le financier socialiste pense résoudre le problème, sans blesser les règles austères de l’équité, en offrant aux compagnies, pour prix d’une propriété qui leur aura coûté 1,760 millions, une rente représentative d’un capital de 1,193 millions. Passe encore si le marché était librement consenti des deux parts, et si les compagnies, en subissant une perte de 32 pour 100 sur leur capital, faisaient un sacrifice volontaire ; mais un gouvernement qui exproprie des individus ou des associations pour cause d’utilité publique, et qui exerce ainsi sur les propriétés privées une sorte de droit de conquête, est tenu d’en rembourser la valeur réelle et plus que la valeur. Quand l’état, le département ou la commune s’empare d’un champ ou d’une maison, est-ce que le jury qui détermine l’indemnité se borne à constater le produit du champ ou de la maison pour le capitaliser ensuite ? Non certes : il prend en considération toutes les circonstances, le prix d’achat, l’accroissement du revenu et jusqu’à la valeur de convenance. Voilà les bases équitables et sincères de son jugement. Pourquoi renoncer à l’application de ces principes ? Est-ce que la règle d’équité qui préside à l’évaluation des propriétés individuelles ne peut pas servir à évaluer les propriétés des compagnies ? Les associations n’ont-elles pas les mêmes droits et au moins les mêmes titres que les individus devant la puissance publique ?

  1. L’étendue des chemins exploités aujourd’hui est d’environ trois mille kilomètres.