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entre les cantons et le directoire. La diète fut composée des députations des vingt-deux cantons, chaque canton y comptant pour une seule voix.

Cet état de choses en Suisse dura sans lutte aussi long-temps que le calme se maintint dans les états voisins ; mais à peine la révolution française de 1830 fut-elle devenue un fait accompli, que la Suisse en sentit le contre-coup : il y eut une suite de révolutions cantonales[1], dirigées toutes dans un sens démocratique et contre les principes de la restauration. Dès 1832, la diète dut se préparer à réviser le pacte ; un projet fut même élaboré, il était en grande partie l’œuvre d’un jurisconsulte illustre dont la mort tragique a éveillé des regrets dans l’Europe entière, M. Rossi, alors député de Genève. On recula toutefois devant une tâche dont on commençait à reconnaître toutes les difficultés ; mais l’idée de la révision du pacte ne fut pas abandonnée. À partir de 1841, la nécessité de cette révision devint sans cesse plus évidente. Les passions populaires commençaient à faire présager de nouvelles luttes. Le radicalisme allemand agitait les masses. On sait comment la crise se compliqua peu à peu, d’abord par la suppression des couvens d’Argovie, puis par l’appel des jésuites à Lucerne, et surtout par la résurrection des corps-francs, héritage odieux des siècles barbares devant lequel se dressa tout armée la ligue du Sonderbund. On connaît aussi le dénoûment de la guerre civile qui, en 1847, ensanglanta les cantons. Ces faits sont un témoignage irrécusable des progrès qu’avaient faits dans l’opinion les idées contraires au maintien de l’ancien pacte fédéral. C’était avant tout le sentiment de l’insuffisance de ce pacte qui poussait au combat les milices appelées à dissoudre le Sonderbund. Les chefs même des cantons qui formaient le Sonderbund, en particulier ceux des cantons primitifs, étaient presque aussi convaincus au fond que leurs adversaires de la nécessité d’une révision ; pourtant ils résistaient, dans la crainte qu’on n’en profitât pour trop restreindre la souveraineté cantonale. On ne pouvait en effet toucher au pacte de 1815 sans en effacer certaines dispositions qui plaçaient tour à tour le pouvoir fédéral sous l’influence des trois cantons directeurs ; mais c’était là une réforme qui devait en définitive tourner au profit de la Suisse entière. La souveraineté cantonale, poussée trop loin, rendait presque impossible l’organisation d’une foule d’intérêts matériels, doublement nécessaire à un petit état entouré de puissans concurrens[2]. Les intérêts politiques et les intérêts matériels s’unissaient

  1. L’histoire de ce mouvement de la Suisse après 1830 a été retracée avec détail dans cette Revue même par M. À de Circourt. Voyez la livraison du 15 mars 1847.
  2. C’est ainsi qu’en 1845, lorsqu’il s’agissait d’un simple traité postal entre l’Autriche et la Suisse, une demi-douzaine d’administrations cantonales envoyèrent leurs délégations à Vienne ; elles y intriguèrent bon gré, mal gré, les unes contre les autres pour obtenir quelques avantages de plus pour leurs cantons respectifs.