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le jeune homme souffrait sans le comprendre ; puis elle se retourna vers Marie :

— Il vivra, dit-elle, et toi aussi, ma fille, et tu seras heureuse !

Alors, jetant ses bras autour du cou de Marie, elle appuya sa tête sur l’épaule de la jeune fille et éclata en sanglots.

Que nous reste-t-il à dire ? Le lendemain, Renée fit chercher le corps de son fils ; quelques-uns de ses camarades le portèrent au cimetière, où on lui donna une sépulture chrétienne. Un vieux prêtre, caché près de là, brava tous les dangers, et vint prier pour le pauvre Vendéen ; puis il essaya, par de pieuses paroles, de faire pénétrer la consolation dans l’ame de la malheureuse mère. Il sembla réussir en partie. Renée l’écouta avec reconnaissance, et parut calme en le quittant ; mais la plaie de son cœur était trop profonde pour se fermer sous l’influence des remèdes ordinaires. Elle seule la connaissait tout entière ; elle seule continua à la connaître. Jamais un mot ne sortit de ses lèvres qui vînt trahir ses angoisses et son terrible secret. Elle soigna Étienne, le guérit, lui permit de solliciter un congé de réforme fondé sur la gravité de ses blessures, le reçut avec calme et douceur lorsqu’il revint libre réclamer la main de Marie. Elle la lui accorda, assista à leur mariage, vit sa fille heureuse, et en remercia le ciel.

La guerre de la Vendée finit ; la paix se rétablit dans ce malheureux pays ; le peuple retourna à ses travaux ; tout reprit son ancien aspect. Renée vécut long-temps, car c’était un corps robuste et une ame forte. Elle était calme, on aurait pu la croire heureuse ; mais quand, le soir, dans son grand fauteuil, elle regardait Étienne et Marie assis l’un près de l’autre, ses yeux se tournaient involontairement vers la petite fenêtre d’où son fils chéri avait une fois contemplé ce spectacle, et, si alors le cri de la chouette venait à se faire entendre, deux grosses larmes coulant le long de ses joues tombaient lentement sur le fuseau qu’un mouvement machinal faisait encore tourner entre ses doigts.


J. D’HERBAUGES.