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Elle resta un instant les yeux fixés sur la terre, comme si son cœur torturé n’avait plus ni larmes ni plaintes, puis elle murmura le nom de sa fille, mais si bas, qu’il semblait qu’elle craignît elle-même de l’entendre.

— Marie, dit-elle, Marie !… Et un long sanglot l’ébranla tout entière. Elle serra avec ses deux mains son front brûlant, comme si elle eût cherché à y retenir sa raison troublée. Marie, Marie ! répéta-t-elle encore… mon Dieu ! que faire ? La tête de la malheureuse mère se pencha encore davantage ; ses lèvres se collèrent au front du Christ, et, dans ce froid baiser sur l’image de l’homme de douleur, du Dieu crucifié, elle chercha à retrouver de la force et de la résignation.

Elle en avait besoin, car elle se débattait contre un sacrifice cruel déjà décidé dans son cœur. Si elle eût pu résister à la voix secrète qui le lui imposait, elle serait rentrée dans sa maison, au lieu de fuir encore ; elle aurait révélé son sanglant secret, elle aurait d’un seul mot élevé une barrière infranchissable entre Étienne et Marie. Ce qu’elle n’avait pas fait dans le premier moment lui devenait de plus en plus impossible ; mais la lutte intérieure continuait cependant, son cœur saignait sous la tâche cruelle qu’il acceptait. Son dévouement au bonheur de l’unique enfant qui lui restât ne l’empêchait pas de se détourner avec horreur à la vue de l’amer calice présenté à ses lèvres, et ce fut après de longues angoisses qu’elle retrouva assez de force pour reprendre le chemin de la demeure où devait commencer sa torture éternelle ; mais, dans l’amère grandeur même de l’effort qu’elle s’imposait, elle puisa une énergie nouvelle. Elle franchit sans s’arrêter le sentier qui conduisait à sa maison, s’approcha lentement de la porte, l’ouvrit et s’avança en silence.

Marie était assise au chevet du lit d’Étienne, dont la main reposait dans la sienne. Ses yeux se tournèrent vers la porte au bruit que fit Renée en entrant, et elle poussa un cri d’effroi.

Renée était pâle comme la mort ; ses vêtemens trempés se collaient sur son corps agité d’un tremblement convulsif ; ses yeux ternes et hagards se fixaient sans expression sur tous les objets qu’ils rencontraient ; ses mains bleuâtres pendaient à ses côtés, et son pas lourd se traînait sur le sol comme celui d’un vieillard.

— Qu’avez-vous, ma mère ? s’écria Marie en s’élançant vers elle.

— Ton frère est mort, dit lentement Renée en tournant vers sa fille son regard sans larmes.

— Mort ! répéta Marie avec un cri.

— Oui, répondit sa mère sans sortir de l’atonie apparente où elle était tombée ; il a été tué ce matin ; on vient de me le dire.

Elle marcha lentement vers le lit où gisait Étienne, témoin inquiet de cette scène ; elle le regarda long-temps d’un regard étrange dont