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qu’à l’ordinaire ? Adieu, ma petite Marie ; je te laisse heureuse, cela doit me porter bonheur.

Il s’approcha de sa mère. Renée eut un instant de faiblesse ; elle appuya sa tête sur l’épaule du jeune homme, et un long sanglot souleva sa poitrine. Jean se pencha vers elle ; il murmura à son oreille, d’une voix brisée par l’émotion, ces mots sans suite qui trahissent la crainte par leurs vagues assurances d’espoir. Renée les comprit à peine ; mais la voix de son fils bien-aimé calma un instant sa douleur et lui rendit un peu de force. Elle le serra encore passionnément dans ses bras, puis se releva pâle, mais calme, en murmurant tout bas une ardente prière.

Jean s’avança vers Marie et lui dit, pendant qu’elle lui donnait le baiser d’adieu : — Marie, si je ne reviens pas, aime notre mère pour toi et pour moi. Tu pourras encore être heureuse, tu le seras ; mais elle !… Aie pitié d’elle, Marie, car elle sera bien malheureuse. — Il fit jouer la gâchette de son fusil, regarda encore une fois autour de lui et quitta d’un pas ferme la maison paternelle.

À peine Jean venait-il de franchir le seuil de la porte qui s’ouvrait au midi, que les deux femmes entendirent frapper à celle qui lui faisait face ; la terreur les saisit, mais le son de la voix d’Étienne les rassura bientôt : Marie courut ouvrir. Le jeune soldat entra précipitamment ; il était haletant et ému. L’escabeau que Jean avait occupé près du feu, les larmes encore humides sur les joues des deux femmes, la porte entre-bâillée à cette heure de la nuit, tout lui prouva que le Vendéen ne faisait que de sortir ; il jeta un regard timide autour de lui, puis il s’approcha de Renée d’un air agité.

— Il me faut vous quitter, dit-il, peut-être pour long-temps, peut-être pour toujours. Les brigands s’apprêtent à nous attaquer, et ma compagnie est commandée pour former une des colonnes qui doivent couvrir Machecoul. Je ne reviendrai plus ici. On m’ordonne de rassembler tous mes effets ; dans une heure, je dois avoir rejoint. Merci de vos bontés, mère Renée : vous auriez dû me haïr, vous avez été bonne pour moi ; merci !… Marie, adieu !… Il me semblait que je ne devais plus vous quitter jamais. J’étais fou… j’étais si heureux !

— La guerre ne durera pas toujours, dit Renée ; vous reviendrez nous voir plus tard.

— Quoi ! me le permettriez-vous ? demanda Étienne avec un rayon de joie dans les yeux. Il s’interrompit et ajouta avec découragement : Ah ! plus tard, dans bien des années, vous m’aurez oublié, vous ne me reconnaîtrez plus !

Il se retourna vers Marie et la vit qui pleurait.

— Vous pleurez ! dit-il ; vous pleurez, Marie !… Oh ! je reviendrai !