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ne faut pas attacher d’importance à ces idées-là. On me disait autrefois que le cri de la chouette était un mauvais présage ; est-ce qu’il vous fait peur encore ? Pour en revenir à cette soirée, où je vous épiais sans que vous le sussiez,… j’ai bien regardé ton soldat, Marie ; sa figure m’a plu. C’est un honnête garçon, et qui t’aime, j’en suis sûr. J’ai vu les regards que vous échangiez. Voyons, finis donc de rougir ! Il n’y a pas de mal à ça. Je suis bien certain que vous ne pensiez pas qu’il existât d’autres créatures que vous dans le monde. Pour ma mère…… oh ! pour ma mère, c’est différent ; elle ne pensait pas à vous ; elle pensait à moi ; je lisais mon nom dans ses yeux.

— Il n’y a guère de momens dans ma vie où je ne l’aie pas dans le cœur, dit Renée avec une émotion qu’elle contenait à peine.

— Pauvre mère !… je le sais bien, et je sais aussi que, quelque chose qui m’arrive, vous ne m’oublierez jamais ; mais notre Marie peut en aimer d’autres que nous, ma mère, et il faut qu’elle soit heureuse. Promettez-moi qu’à la fin de la guerre vous la marierez avec celui qu’elle aime… puisqu’elle l’aime !

Renée sourit à travers ses larmes en regardant sa fille.

— Tu sais bien que je veux son bonheur avant tout, dit-elle.

Marie se jeta dans ses bras, et cacha dans les vêtemens de sa mère sa figure rougissante. Jean souriait, mais il avait les yeux humides.

— Et moi, dit-il, ne me remercieras-tu pas, Marie, d’avoir arrangé une affaire si difficile ? Ton Étienne m’a-t-il chassé de ton cœur ? Est-ce que tu n’aimes plus ton frère ?

Marie se tourna vers lui ; le frère et la sœur s’embrassèrent tendrement ; puis Jean se leva en étouffant un soupir.

— Il est tard, dit-il en regardant à la lueur du feu les aiguilles d’une grosse montre en argent qui avait appartenu à son père, et qui était attachée à une chaîne de même métal ; il est deux heures déjà ! le rendez-vous est pour quatre heures. Il me faut vous quitter. Adieu, ma mère ; adieu, Marie ; au revoir… j’espère… Il alla reprendre son fusil. Sa mère était debout, pâle et émue. Toutes les paroles de mauvais augure prononcées par son fils lui étaient tombées sur le cœur comme un poids de glace. Marie, tremblante de mille émotions diverses, pleurait la tête appuyée contre la cheminée. Jean promena sur les objets qui l’entouraient un lent regard qui finit par s’arrêter sur sa mère et sa sœur. Un mouvement convulsif agita sa noble physionomie ; deux grosses larmes s’arrêtèrent au bord de ses paupières ; il fit un effort pour maîtriser son émotion, et passa rapidement la main sur ses yeux.

— Adieu, ma mère, dit-il encore ; du courte ! ce n’est pas la première fois que je vous quitte ; pourquoi aurais-je moins de chances