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l’embrassa en faisant un effort pour retenir ses larmes. Marie demanda à son frère s’il voulait se coucher.

— Me coucher ! dit-il ; non ! non ! il me faut vous quitter avant le jour, et je n’aurais pas le temps de vous voir. J’ai beaucoup de choses à vous dire ; asseyons-nous, car je suis brisé de fatigue, et écoutez-moi.

Il leur raconta alors les mouvemens des insurgés et ce que les paysans savaient ou devinaient des plans futurs de leurs chefs. Le secret du conseil n’était pas assez bien gardé pour que ses plans ne fussent pas connus ; mais la fidélité des paysans rendait cette faute moins dangereuse. Les pauvres femmes écoutèrent Jean avec émotion ; sa mère tremblait pour lui. Marie avait au cœur une double crainte.

— Et maintenant, ma petite Marie, dit-il en se tournant vers sa sœur et en lui prenant la main, parlons de toi, qui n’es pas une franche Vendéenne, puisque tu ne détestes pas tous les bleus. Ma mère ne m’avait pas permis jusqu’à présent de te dire un mot sur ce sujet ; mais aujourd’hui je veux décidément prendre l’instant que Dieu me donne. Tu aimes donc un soldat ! toi, la sœur d’un brigand, tu consentirais à épouser un pataud !

Marie baissa la tête, se détourna pour éviter les regards de sa mère, et finit par enfoncer son visage dans ses mains, qui n’étaient pas assez grandes pour cacher sa rougeur.

— Allons, allons, dit Jean en souriant, n’aie pas tant de honte, ma petite sœur. Il fallait bien finir par là, et puisqu’un vilain uniforme cache un bon cœur chez ce brave garçon-là, épouse-le, ma petite Marie, et sois heureuse.

Il se pencha à l’oreille de sa sœur, et ajouta tout bas : — J’ai voulu te dire cela aujourd’hui, parce que si je ne reviens pas… qui sait ?… c’est possible ! je veux que tu saches que ton frère le brigand a consenti à ton mariage.

Il se releva et continua tout haut : — C’est un beau garçon que ton Étienne, je l’ai vu un jour, ou plutôt un soir.

— Où cela ?… Comment ?… demanda Marie.

— Ici même, ma foi ! dit Jean en riant. Il faisait diablement froid ce soir-là, quoique pas autant qu’aujourd’hui. Le bleu était assis à ma place, entre ma mère et ma sœur, causant et se chauffant gaiement ; moi, j’étais sous la fenêtre, tapi dans l’ombre, grelottant et regardant. Cela me faisait un singulier effet. Il me semblait que j’étais mort, et que je revenais voir ce qui se passait sur la terre, faute de prières et de messes pour me faire tenir tranquille.

— Jean ! dit sa mère avec angoisse.

— Bon ! bon ! tout cela ne signifie rien, ma mère ; n’allez pas vous effrayer au moins ! reprit-il avec une insouciance un peu affectée. Il