Page:Revue des Deux Mondes - 1850 - tome 8.djvu/301

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

devenue beaucoup plus amicale pour le jeune soldat. Étienne avait trouvé la porte de son cœur en la rapprochant de son fils ; la défiance et la haine de la mère disparaissaient insensiblement.

La ville de Machecoul ayant été dégarnie de troupes par suite des mouvemens des colonnes dans les campagnes, Étienne fut plus souvent appelé à faire le service de l’intérieur. Les paysans insurgés sentirent la nécessité de se tenir en repos pendant quelques jours, et Jean put profiter de ce calme apparent pour venir à la ferme. C’était maintenant chose convenue d’avance. Étienne indiquait en partant l’heure probable de son retour, et Jean avait soin de quitter assez tôt la maison pour qu’on pût faire disparaître toute trace de son séjour. Malgré ses derniers mots à sa sœur, il ne lui parla point du sujet que redoutait Marie. Sa mère s’y était opposée.

— Ils s’aiment, lui avait-elle dit ; je le vois maintenant trop tard pour l’empêcher, si même cela eût été possible. J’en suis fâchée, car c’est un bleu ; mais, malgré cela, c’est un honnête garçon qui rendra Marie heureuse, s’ils s’épousent jamais. Qui sait si cela se pourra faire ? La guerre a de terribles chances ! Étienne peut être envoyé loin d’ici, oublier Marie. Le jour où ils se seront parlé, il sera temps de leur montrer que nous savons leur secret. Jusque-là, obtenir un aveu de Marie, ce serait la lier plus étroitement à son amour. Laissons aller les choses ; ce sont deux cœurs honnêtes auxquels on peut se fier.

— Mais c’est un bleu, ma mère ! dit Jean, dont le sang vendéen se révoltait à l’idée d’une alliance avec un ennemi.

— C’est un pauvre garçon qui a été forcé de rejoindre les bleus, parce qu’il est tombé à la conscription, et que dans son pays on n’a pas résisté à cette loi comme dans le nôtre. Seul et sans appui, il lui fallait bien obéir. Qu’aurais-tu fait toi-même à sa place. mon pauvre Jean ?

— Je n’en sais rien. Peut-être n’aurais-je pas mieux fait que lui ; mais est-ce une raison pour que ma sœur l’épouse ? Le hasard l’a amené chez nous ; lui et ses camarades ont ruiné notre pays et massacré tout ce qui n’a pas pu se défendre ; il a pris part à toutes ces boucheries, ou du moins il y a assisté, et il est l’ami de ceux qui les ont exécutées. Il porte le même habit qu’eux, il crie vive la république, et il tire sur les Vendéens quand on le lui commande.

— C’est vrai, mais il a été bon pour nous ; il nous a aidées, assistées, protégées ; il a facilité ton retour près de nous, et Marie l’aime.

— Elle l’aime ! elle l’aime ! N’y a-t-il que ce garçon dans le monde ? Marie est si jolie ; bien d’autres la rechercheront. Qu’elle attende. Je lui trouverai parmi nous un bon mari avec qui je pourrai toujours m’entendre, parce que ce ne sera pas un ennemi entré de force dans notre famille.

— Ce serait très bien si elle n’aimait pas Étienne, dit Renée en