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fut profond ; mais peu à peu il s’adoucit sans s’effacer entièrement de son cœur. Elle aurait donc pu de nouveau se dire heureuse entre son mari et ses enfans, lorsqu’un coup terrible, qui n’était que le prélude de beaucoup d’autres, vint la frapper à l’endroit le plus sensible. Son mari se plaignit un matin de grandes douleurs de tête, s’alita pour la première fois de sa vie, et mourut après trois jours d’une fièvre ardente, qui lui ôta tout sentiment.

Renée fut calme dans son chagrin, comme elle l’avait été dans son bonheur ; mais son cœur fut brisé pour toujours. Elle renferma en elle-même sa cruelle douleur ; ses enfans avaient encore besoin d’elle, elle se consacra à eux tout entière. Jean, son fils, venait d’atteindre sa dix-septième année ; c’était un beau garçon, grand, robuste, franc, gai, ayant, avec les beaux traits de sa mère et son caractère solide, la physionomie joyeuse de son père. Marie, plus jeune d’un an, était fraîche comme une rose ; son caractère impressionnable passait presque sans transition de la gaieté à la tristesse ; les sensations les plus fugitives se peignaient sur son charmant visage ; il semblait qu’on pût lire dans son ame à travers sa peau transparente. C’était une frêle créature qui avait besoin qu’on veillât sur elle, qu’on éloignât de son chemin les pierres et les ronces. Elle manquait de force contre le malheur, cherchait un appui autour d’elle, et, n’en trouvant point, elle serait tombée, sans essayer de résister par ses propres efforts.

Renée connaissait parfaitement le caractère de ses deux enfans ; elle entourait Marie de soins, de complaisances infinies. Aussi l’accusait-on tout bas d’une préférence condamnable pour cette fille si gâtée, si choyée ; mais qui peut lire dans le cœur d’une mère et deviner ce qu’elle n’ose s’avouer à elle-même ?… Renée ne s’inquiétait point de ces accusations, peut-être parce qu’une voix secrète lui disait que Jean, son beau garçon, au cœur tendre et profond, aux volontés fermes et persévérantes, était l’orgueil de son ame, la joie de ses yeux, le premier amour de son cœur. Ce fut Jean qu’elle plaça résolument, et malgré sa jeunesse, à la tête de la ferme, dirigeant ses premiers pas sans trop le laisser voir, et lui remettant ostensiblement tout le pouvoir paternel. À lui la première place à table, à lui ce lit où il était né, où était mort son père : il devint le chef de famille, et Renée lui apprit doucement à se servir de sa nouvelle autorité ; mais, comme malgré elle et par tendresse seulement, elle en retint le poids et les soucis. Son esprit élevé dominait sans peine et sans lutte tout ce qui l’entourait ; son influence bienfaisante se faisait sentir à tout instant ; elle était l’ame de la maison, le génie du foyer ; ses enfans l’adoraient ; Jean cédait à toutes ses volontés, Marie vivait à son ombre.

Ainsi entourée d’amour et de respect, Renée supporta paisiblement en apparence le chagrin qui lui déchirait le cœur. Le temps de son