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Tout auprès de Machecoul s’élevait, quelques années avant la révolution, une ferme assez bien bâtie, selon l’usage du pays. La maison d’habitation était située sur le sommet d’un tertre qu’on appelait colline dans ce pays si plat. Un petit bois taillis l’entourait, et deux ou trois grandes flaques d’eau stagnante la séparaient de la ville et en rendaient les abords difficiles, de sorte que, placée pourtant à la porte de Machecoul. sa position était extrêmement solitaire. Des bâtimens d’exploitation assez vastes, des meules de foin et de paille, des masses de fumier gras annonçaient chez les propriétaires de la ferme un certain degré d’aisance ; mais l’intérieur de la maison était en tout semblable aux habitations des autres paysans. Deux portes en face l’une de l’autre dans la principale chambre, une grande cheminée dont la fumée sortait souvent en nuage épais pour aller noircir les solives du plancher, une étroite fenêtre au pied d’un grand lit entouré de rideaux de serge et qu’un bahut séparait de l’âtre, deux hautes armoires, une table massive, quelques escabeaux à trois pieds, un banc de bois et un vieux fauteuil à fond de paille, tels étaient l’aspect et l’ameublement de la maison. Il n’y manquait du reste ni le vaisselier bien garni de plats d’étain. de gobelets, de pichets de faïence ornés de dessins de toutes les couleurs, ni les fusils brillans et soignés posés en étages au-dessus du manteau de la cheminée ; mais la terre battue servait de plancher au rez-de-chaussée, et la fenêtre, où manquaient plusieurs vitres, se fermait simplement avec un volet, sans que les habitans, endurcis aux changemens de température, souffrissent beaucoup de la bise, qui en hiver faisait ondoyer la flamme du foyer et pétiller la mèche noirâtre de leur chandelle de résine.

Les possesseurs de cette humble habitation passaient pour riches dans le pays. Ils étaient propriétaires de quelques champs disséminés dans les environs ; leurs troupeaux prospéraient grâce à leurs soins intelligens ; leurs granges et leurs greniers renfermaient tous les ans d’assez belles moissons, et l’on soupçonnait que, sous la pierre du foyer, devait se trouver une jolie somme destinée à doter la fille de la maison. Renée Berthelot, cette fille unique, héritière de la ferme, était le plus beau parti du pays et le point de mire des jeunes gens les plus ambitieux des environs. Cependant Renée était arrivée à l’âge de vingt-huit ans sans avoir accepté aucun des nombreux partis qu’on lui avait offerts. Des traits accentués, quoique réguliers, donnaient à sa physionomie un air sévère qu’adoucissaient un regard pensif et un sourire rare, mais charmant, et elle avait pu perdre la fraîcheur de la jeunesse, qu’enlèvent si vite aux paysannes le soleil et le grand air, sans cesser d’être belle encore et plus que jamais recherchée.

Tous les amoureux de Renée ne s’en voyaient pas moins éconduits comme par le passé. Il semblait même qu’un accord tacite existât