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curé de Dolores. la table couverte d’un tapis de gros drap bleu, les creusets, les cornues, les alambics, qui s’étalaient dans un si étrange désordre à côté des livres pieux et des chapelets de ce prêtre non moins passionné pour la chimie que pour les aventures politiques. Je ne tardai pas à subir l’influence et à comprendre le génie de cet homme intrépide. J’avais sans cesse des messages à lui porter, des ordres à recevoir de lui. Sept mois après notre première entrevue, dans la nuit du 15 au 16 septembre, le signal du soulèvement fut enfin donné par Hidalgo. Le docteur Iturriaga, celui-là même qui m’avait enrôlé dans le parti de l’indépendance, était tombé dangereusement malade à Queretaro, et venait de révéler à son lit de mort le secret de la conspiration. Il n’était plus permis d’hésiter, il fallait combattre ou mourir. J’assistai au dernier conciliabule d’Hidalgo et de ses amis. Après une courte délibération, Hidalgo, suivi de ses fidèles et de cinq ou six serenos, alla donner l’ordre au sacristain de Dolores de sonner le tocsin. À peine la cloche d’alarme avait-elle résonné, que des cris confus remplissaient le village et que des groupes tumultueux se pressaient autour de nous : ces groupes allaient former le noyau de l’armée insurrectionnelle du Mexique. Hidalgo se hâta d’apprendre aux superstitieux habitans de Dolores que les Espagnols conspiraient contre la religion : il n’en fallut pas davantage pour faire de ces naïfs paysans autant d’adversaires implacables de la domination espagnole. Dès le lendemain, près de quatre mille hommes étaient réunis sous les ordres d’Hidalgo, et on marchait sur San-Miguel-el-Grande : la ville ne fit aucune résistance, et des régimens de la reine passèrent même dans les rangs des insurgés : à partir de ce moment, la cause de la révolution mexicaine semblait gagnée. Pourtant ce grand mouvement n’était qu’à son début. Pendant quelques jours encore le torrent grossit, des villes, des provinces entières furent enlevées aux Espagnols ; mais ceux-ci revinrent bientôt de leur stupeur : la résistance s’organisa, et avec elle commença une guerre sérieuse, une guerre terrible, dont la bataille de Calderon ne fit que terminer la première période, et dont mes souvenirs, si je vous les raconte quelque jour, feront passer devant vos yeux les plus mémorables péripéties.

Quelques momens de silence succédèrent à ce récit qui m’avait montré à ses débuts presque ignorés la grande lutte dont l’affranchissement du Mexique avait été le dénoûment. Nous étions arrivés aux barrières de Guadalajara, et en un temps de galop je fus à la porte de mon meson. Je remerciai alors le capitaine Ruperto de ses curieuses confdences, et je le quittai avec l’espoir de faire bientôt route avec lui de Guadalajara vers les côtes méridionales du Mexique.


GABRIEL FERRY.