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— Bien, reprit-il, continuez. — Et j’achevai mon récit, non sans de visibles efforts pour surmonter l’émotion qui m’oppressait.

Quand j’eus fini, l’étranger me serra la main. — Comptez sur moi, me dit-il, vous serez vengé, et bien d’autres seront vengés avec vous.

En ce moment, nous fûmes rejoints par le pêcheur dont j’avais remarqué dans le cabaret les dispositions sympathiques à mon égard.

Vive Cristo ! dit-il en nous abordant ; un coup de cravache semblable devrait coûter la vie non-seulement à celui qui l’a donné, mais à la race tout entière de nos oppresseurs.

— C’est facile à dire, repris-je, et vous qui affectez de si fiers sentimens, pourquoi n’avez-vous pas pris ma défense quand j’étais seul contre trois officiers des dragons de San-Luis ?

— Pourquoi ? Parce que le moment n’est pas encore arrivé ; mais patience ! ce qui ne se fait pas en un jour se fait dans deux ; en attendent, êtes-vous décidé à vous venger de l’outrage que vous avez reçu ?

— Oui, si c’est en mon pouvoir.

— En pareil cas, on peut ce qu’on veut, reprit l’homme qui m’avait interrogé le premier en continuant à fixer d’un air distrait ses regards sur l’horizon. Le navire en vue commençait à grossir comme un de ces nuages lointains qui augmentent de volume à mesure que le vent les pousse vers le zénith. Ah ! continua-t-il, je distingue à présent la voilure tout entière.

— Foi de contrebandier, c’est un beau brick, s’écria le jeune Mexicain ; mais il est encore de trop bonne heure pour s’approcher de la barre.

— Il vient reconnaître la côte pendant qu’il est jour pour pouvoir l’aborder de nuit, répondit le compagnon du contrebandier qui venait de déclarer si ingénument sa profession. En même temps, les deux hommes s’éloignèrent de quelques pas, et je remarquai qu’ils s’entretenaient à voix basse, tantôt en me désignant, tantôt en dirigeant leurs regards sur l’un des points les plus élevés de la côte. Au sommet d’une haute falaise qui dominait d’un côté le cours du fleuve de Panuco, et de l’autre la plaine mer, la guérite d’un guetteur ou garde-côte se dessinait sur l’azur du ciel. Je compris que la présence de ce gardien vigilant gênait les deux contrebandiers. Le plus jeune s’approcha de moi.

— Ah çà ! mon garçon, me dit-il résolûment, il s’agit de prendre un parti. Etes-vous pour nous ? Au nom du cavalier que voici, je vous offre de nouveau la vengeance. Voyons ! pendant que le sang bouillonne encore vos veines, jurez-vous par le salut de votre ame que vous serez des nôtres ?

— Mais qui êtes-vous demandai-je à l’inconnu.

— Que vous importe, si je vous donne les moyens de vous venger ?

— Eh bien ! à cette condition, je suis des vôtres ; je le jure sur le salut