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ferez connaissance ainsi avec les hommes qui ont donné à ce pays le signal de l’insurrection contre la tyrannie espagnole.

Le lieu et le moment étaient bien choisis pour une évocation des héros et des scènes glorieuses de la révolution mexicaine. Autour de Guadalajara, tout parle de la guerre de l’indépendance. Une longue allée de saules s’étend du village de San-Pedro, voisin de Zapopam, à la capitale de l’état de Jalisco, et sur cette route solitaire don Ruperto pouvait commencer sa narration avec la certitude que nous ne serions pas distraits ; aussi s’empressa-t-il de tenir sa promesse.

— Ma vie militaire, me dit le capitaine, s’ouvre en 1810. Mon père était alors fermier d’une assez belle hacienda située près de Tampico. Cette hacienda appartenait à un riche Espagnol. J’avais près de vingt ans alors, et ma principale occupation (car nos maîtres ne voulaient pas que l’instruction se répandît parmi les créoles) consistait à parcourir à cheval les possessions que gérait mon père, à lacer les taureaux, à dompter les poulains qu’on destinait à la selle et aux écuries du propriétaire. Cette éducation avait fait de moi un homme robuste, rompu à la fatigue et à tous les exercices qui constituent un cavalier parfait. J’avais appris aussi à manier convenablement le fusil, le sabre et la lance.

Un jour, c’était au mois de février de l’année 1810, un dimanche pendant lequel tous les travaux de la ferme étaient suspendus, je me promenais à cheval sur les bords de la mer. L’animal que je montais était un superbe alezan que j’avais dompté moi-même, et pour lequel j’avais conçu la plus vive affection, quoiqu’il ne m’appartînt pas. Le soleil était brûlant, et j’avais mis pied à terre à la porte d’un tendejon (cabaret), dans lequel j’entrai pour me rafraîchir après une longue course. J’avais attaché mon cheval à l’un des pilastres de maçonnerie qui formaient le péristyle du cabaret. J’étais à peine assis, qu’un officier des dragons de San-Luis pénétra dans la salle et demanda d’une voix impérieuse à qui appartenait le cheval attaché à la porte.

— Il est à moi, seigneur capitaine, dis-je modestement.

— A toi ! reprit l’officier d’un air de dédain ; ne sais-tu pas, drôle, qu’un créole n’a pas le droit de monter à cheval, que c’est un privilège exclusivement réservé à nous autres Espagnols ? En vérité, le vice-roi a tort de permettre à ces picaros de monter même une jument, et on ne devrait leur accorder que des ânes.

— J’ignorais que je fusse en faute, balbutiai-je.

— Tu ne l’oublieras pas désormais, drôle, continua le capitaine, et la leçon te coûtera ton cheval.

— Mais il ne m’appartient pas ! m’écriai-je.

— Tu as donc menti, ou tu l’as volé ?

— Je ne suis ni un voleur ni un menteur, repris-je avec colère, car