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Je me gardai bien de refuser l’offre de don Ruperto, et nous nous quittâmes fort bons amis.


III. – ALBINO LE CONTREBANDIER.

L e capitaine avait sans doute à cœur de cultiver la liaison formée entre nous par le hasard, car le surlendemain, jour de la fête de Zapopam, il entrait à cheval, dès dix heures du matin, dans la cour du meson où je logeais. Mon cheval était prêt, je descendis à la hâte, et nous primes tous deux le chemin du village de Zapopam, à deux lieues de Guadalajara Les rues que nous traversâmes étaient pavoisées ; les courtines de soie ou de toile peinte qui servent de couvre-pieds aux lits des habitans avaient été suspendues en guise d’ornemens à tous les balcons. De longues guirlandes de roseaux fraîchement coupés et rehaussés de bouquets de fleurs des champs formaient d’un côté de la rue à l’autre des arches de verdure. Les cloches sonnaient à toute volée, les pétards éclataient sur les terrasses. Les habitans de la ville se répandaient en dehors des murs, ceux de la campagne envahissaient la ville. La route qui conduit à Zapopam était encombrée de voitures, de cavaliers et de piétons qui, comme nous, se dirigeaient à la rencontre de la Vierge miraculeuse qui allait faire son entrée solennelle dans Guadalajara J’appris, chemin faisant, du capitaine que, pour avoir l’honneur de combattre comme les Espagnols sous la protection du ciel, et pour opposer une Vierge à celle de los Remedios, élevée an rang de généralissime par le vice-roi Venegas, les Tapatios (c’est le sobriquet des habitans de la capitale de Jalisco) avaient donné à la patrone de Zapopam le grade de générala. Cette cérémonie avait eu lieu le 13 juin de je ne sais plus quelle année, et ce jour était l’origine de la fête annuelle à laquelle nous assistions.

Nous n’étions pas encore à moitié route, quand nous rencontrâmes la voiture dans laquelle la Vierge faisait son trajet. Cette voiture n’avait ni chevaux ni mules pour la tirer ; les fidèles s’y attelaient à tour de rôle. Une triple salve d’acclamations accueillit la sainte statue, qui traversa triomphalement la foule, ornée de l’écharpe tricolore mexicaine, verte, rouge et blanche, emblème du plus haut commandement militaire. Il eût été imprudent de ne pas s’incliner avec respect devant elle. Les Tapatios sont renommés dans toute la république pour leur adresse à manier le couteau, et on se livre volontiers aux exercices dans lesquels on excelle.

— Voulez-vous continuer notre promenade ? me dit le capitaine quand la pieuse cohue fut loin de nous. Tous ces souvenirs me reportent, malgré moi aux jours de ma jeunesse. Chemin faisant, je vous raconterai l’aventure qui m’a révélé ma vocation de guerrillero. Vous