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— Nous avons quitté ce matin, mon neveu et moi, la plaine de Calderon, dit le capitaine en désignant notre jeune compagnon. C’est dans un des jacales de cette plaine que nous avons déjeuné avec ce cavalier étranger.

Le capitaine se souvenait trop bien en ce moment de la promesse que je lui avais faite de ne pas contredire ses allégations. Je jugeai toutefois inutile et peut-être imprudent de le démentir ; aussi gardai-je un complaisant silence. En ma qualité d’étranger, j’inspirais à l’officier mexicain une confiance qui le décida à ne pas réitérer sa première question. Il se contenta d’ajouter : — Et chez qui descendez-vous dans la ville ?

Le vétéran murmura entre ses lèvres un nom que je n’entendis pas ; mais l’officier parut satisfait de la réponse, car, après nous avoir salués poliment, il nous fit signe que nous pouvions passer. Pendant ce court interrogatoire, le neveu de don Ruperto avait gardé une contenance impassible. Une fois libres de nous éloigner, nous piquâmes des deux, et nos chevaux nous eurent bientôt conduits au centre de la ville. Le moment était venu de nous séparer, et Castaños m’indiqua la route que je devais suivre pour gagner ma posada - A demain, me dit-il ; mon neveu et moi, nous n’oublierons pas le service que vous nous avez rendu.

De si vifs remerciemens me laissèrent fort surpris ; mais, sans me préoccuper davantage du sens qu’il fallait attacher aux paroles de don Ruperto, je me dirigeai immédiatement vers le meson qu’on m’avait désigné. Après un repas assez frugal, mais bien délicat cependant en comparaison de mon souper de la veille, je demandai le chemin qui conduit à l’Alameda, et je pris lentement le chemin de cette promenade.

L’Alameda de Guadalajara se rapprocherait beaucoup de l’Alameda de Mexico, si l’on y rencontrait des promeneurs. Presque seul sous l’ombrage des frênes magnifiques qui en bordent les allées, je laissais errer mes regards sur les cimes lointaines et escarpées des Cordilières qui dominent la ville, et que je devais traverser pour gagner Tepic et San-Blas. J’avoue que je m’ennuyais profondément, quand, à travers un massif épais de jasmins, un bruit de voix confuses arriva jusqu’à mes oreilles. En écartant un peu les branches qui s’entrelaçaient devant moi, je reconnus, assis sur un banc, trois hommes vêtus, comme les cavaliers que j’avais rencontrés la veille, de l’uniforme écarlate des dragons mexicains.

— Écoute, disait l’un d’eux, tu sais que je suis ton ami…

— Allons donc ! interrompit un autre dragon dont je crus reconnaître la voix, je ne crois plus à l’amitié ; vois-tu ; Albino m’en a dégoûté pour toujours. Ce drôle sait que, s’il se laissait prendre par moi,