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plus curieux d’entendre le guerrillero me raconter la légende de la barranca del Salto, et je lui fis part de mes désirs.

— Si de Guadalajara, où je vais vous accompagner, me répondit-il, vous alliez comme moi à Tepic et de là jusqu’à San-Blas…

C’est précisément mon itinéraire, interrompis-je.

— Tant mieux, caramba ! tant mieux, nous ferons route ensemble ; puis j’ai eu de puissans motifs pour vous fausser compagnie, ajouta don Ruperto, peut-être vous les dirai-je plus tard, et ce serait une histoire assez intéressante, je vous le jure, que celle qui a précédé et suivi ma rencontre avec vous. En attendant, si d’autres récits vous paraissent dignes d’attention, je mets tous mes souvenirs à votre disposition. J’ai combattu côte à côte avec le padre Hidalgo, Abasolo, Aldama et Allende ; j’ai bivouaqué, dressé des embuscades avec Torres, Soto-Mayor, Garcia, Osorio, Montano et tant d’autres. Je vous ferai, d’après nature, le portrait de ces héros étranges ; je vous raconterai de bizarres exploits, de pittoresques aventures dont les bois, les savanes, les grèves de l’Océan Pacifique ont été le théâtre. Tout cela vous convient-il ?

— A merveille ! m’écriai-je, enchanté de cette bonne fortune inattendue.

Le soleil se levait, c’était le bon moment pour se mettre en route. Revenus à la venta, nous trouvâmes nos chevaux sellés et bridés ; la ventera put nous servir une tasse de chocolat, qui devait nous aider à attendre patiemment un déjeuner plus substantiel. Guadalajara n’est qu’à dix lieues du pont de Calderon. Notre léger repas achevé, nous montâmes à cheval et nous partîmes.

Nous chevauchions depuis une demi-heure à peine, quand nous fûmes rejoints par une troupe de cavaliers. C’étaient les six dragons, y compris le cabo, que nous avions vus la veille à la venta de Calderon.

Santos Dios ! s’écria don Ruperto. Eh bien ! seigneur cabo, avez-vous dans la poche vos épaulettes d’alférez ?

— Le diable est parti ! reprit tristement le brigadier. Ce matin nous avons vainement fouillé l’hacienda de la barranca del Salto.

— Pourquoi n’y être pas entré de nuit ? reprit don Ruperto, vous auriez sans doute trouvé ce que vous cherchiez.

— J’y aurais trouvé peut-être ce que je n’y cherchais pas ; d’ailleurs aucun de mes hommes n’a osé y pénétrer.

— Ma foi ! poursuivit Castaños, ce cavalier et moi en soupant à la venta où vous nous avez vus, puis, après souper, en nous couchant de bonne heure comme des voyageurs fatigués doivent le faire, nous avons prié pour la réussite de vos recherches.

Castaños mentait effrontément. Selon nos conventions, je ne le contredis pas.