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j’avais lu quelques relations espagnoles[1] des dernières révolutions de ce pays. C’était sous l’impression de ces récentes lectures que je parcourais le champ de bataille où tant d’intrépides adversaires ou défenseurs de la domination de Madrid dans la Nouvelle-Espagne avaient trouvé leur tombeau. Sur le théâtre même du drame, je m’en rappelai sans peine les héros et les principales péripéties. La guerre de l’indépendance mexicaine a duré dix ans comme le siège de Troie, et la bataille de Calderon peut être regardée comme un des épisodes les plus remarquables de cette longue épopée qui attend encore son Homère. Rien n’a manqué à cette lutte héroïque. Espagnols et insurgés ont bravé la mort avec la même audace. Du côté des Mexicains néanmoins, la superstition ranima plus d’une fois le courage des combattans. L’effigie de la Vierge de los Remedios, costumée en généralissime, marchait en tête de l’armée émancipatrice. Des prêtres et des moines étaient généraux ou colonels. Un curé dont le nom est resté célèbre, Hidalgo, exerçait sur ces bandes fanatiques un pouvoir presque dictatorial. À côté de lui marchaient de vaillans capitaines, Allende, Aldama, Abasolo ; du côté des Espagnols, c’étaient l’implacable général Calleja et le fougueux comte de la Cadena, qui se trouvaient au premier rang. Des deux parts, les chefs se valaient. Néanmoins la discipline devait avoir l’avantage sur le désordre, et six mille Espagnols, façonnés aux rudes travaux de la guerre, mirent en déroute cent mille Mexicains lancés pêle-mêle au combat par des chefs inexpérimentés.

Il est peu de familles, espagnoles ou mexicaines, auxquelles le terrible anniversaire du 17 janvier 1811, date de cette bataille, ne rappelle une perte douloureuse. Le comte de la Cadena est une des plus célèbres victimes de cette funeste journée. Emporté par une de ces rages implacables qu’éveille seule la furie des longues mêlées, le comte s’était jeté avec douze dragons à la poursuite des Mexicains fugitifs. On ne le vit pas revenir, mais on reconnut son cadavre parmi ceux qui jonchaient la plaine. Nul ne s’était précipité au-devant des insurgés avec une fougue plus cruelle. Les chefs mexicains avaient d’ailleurs tenu tête à ce rude adversaire avec une bravoure digne d’un meilleur sort. Sur l’une des éminences d’où mes regards embrassaient le théâtre de la bataille jusqu’à ses dernières limites, Hidalgo s’était tenu pendant l’action et avait dirigé tous les mouvemens de sa tumultueuse armée. C’était là que ses lieutenans venaient prendre leurs instructions, tandis que cent pièces d’artillerie tonnaient contre les Espagnol ; c’était là aussi que la nouvelle d’une défaite inattendue avait surpris l’intrépide curé, devenu généralissime. Quelles avaient été pendant le

  1. Parmi ces relations, les plus curieuses sans contredit sont celles de don Carlos Maria Bustamante, Cuadro Historico, et du docteur Mora, Mejico y sus revoluciones.