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à ces récits. Aussi ne séparerai-je pas des romanesques souvenirs du routier les incidens, les scènes de voyage au milieu desquels se déroula devant moi cette étrange existence.

Entre Mexico et Guadalajara, capitale de l’état de Jalisco, à quelques lieues seulement de cette dernière ville, s’étend une plaine où s’est livré le combat le plus meurtrier peut-être qui ait jamais mis en présence les partisans de l’indépendance mexicaine et les champions de la conquête. Un torrent traverse de l’est à l’ouest cette steppe aride et va se perdre, après un cours de trois quarts de lieue, dans le Rio-Tololotlan. Sur ce torrent est jeté un pont de pierre d’une seule arche : c’est le pont et la rivière de Calderon. La plainte des eaux qui coulent profondément encaissées entre des berges à pic, le cri des aigles, le frémissement des herbes jaunies qui tapissent au loin le sol, tels sont les seuls bruits qui troublent aujourd’hui le silence de cette vaste arène où cent mille hommes combattirent depuis le lever jusqu’au coucher du soleil pour l’indépendance de leur pays. Malgré l’intérêt qu’un tel souvenir devrait appeler sur la plaine de Calderon, bien peu de voyageurs s’y arrêtent, et la plupart ne font même que la traverser à la hâte. D’autres souvenirs en effet que les souvenirs historiques planent sur ces tristes lieux, et plus d’une fâcheuse rencontre signale les bords du torrent de Calderon à la juste méfiance des touristes trop chargés de bagage. Pour moi, qui avais le bonheur de n’être pas de ceux-là, je m’étais promis, en quittant Mexico, de parcourir et d’étudier à loisir le théâtre d’une si mémorable lutte ; j’avais même résolu de faire ma dernière halte, avant Guadalajara, dans un des jacales (huttes) qui se dressent çà et là le long du torrent, et je n’eus pas trop à me repentir d’avoir exécuté ce projet.

J’étais arrivé dans la plaine de Calderon vers la fin d’une longue journée de marche. Je me dirigeai résolûment vers une cabane bâtie non loin du pont. L’hôte de cette pauvre demeure me promit pour moi et mon domestique un souper ou quelque chose d’approchant, pour nos deux chevaux une provende à peu près suffisante et un hangar en guise d’écurie. Il ne nous en fallait pas davantage, et, après avoir mis pied à terre, sans m’occuper plus long-temps des apprêts de notre installation, je me dirigeai vers la plaine que je comptais visiter en attendant le souper.

Un premier monument de la bataille de Calderon s’offrit à moi à quelques pas du jacal où j’étais descendu : c’était une sorte de tumulus grossier près duquel s’élevait un gommer à demi mort de vieillesse. Sur ce tumulus et aux branches du gommier étaient plantées plusieurs petites croix en mémoire des nombreuses victimes de la cruauté espagnole. Je passai outre, et j e fus bientôt au milieu de l’arène où s’étaient rencontrées les deux armées. Avant de quitter la capitale du Mexique,