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fut impossible de le tirer au dehors. Il était tombé si malheureusement, qu’il était venu s’appliquer juste sur l’orifice de l’aérostat, dont il fermait complètement l’ouverture. Dans ce moment, un coup de vent parti de la terre les lança vers les régions supérieures, les nuages furent dépassés, et l’on aperçut le soleil ; mais la chaleur de ses rayons et la raréfaction considérable de l’air dans ces régions élevées ne tardèrent pas à occasionner une grande dilatation du gaz. Les parois du ballon étaient fortement tendues ; son ouverture inférieure, si malheureusement fermée par l’interposition du petit globe, empêchait le gaz dilaté de trouver, comme à l’ordinaire, une libre issue par l’orifice inférieur. Les parois étaient gonflées au point d’éclater sous la pression intérieure du gaz. Les aéronautes, debout dans la nacelle, prirent de longs bâtons et essayèrent de soulever le globe qui obstruait l’orifice de l’aérostat ; mais l’extrême dilatation du gaz le tenait si fortement appliqué, qu’aucune force ne put vaincre cette résistance. Pendant ce temps ils continuaient de monter, et le baromètre indiquait que l’on était parvenu à la hauteur de quatre mille huit cents mètres. Dans ce moment critique, le duc de Chartres prit un parti désespéré : il saisit un des drapeaux qui ornaient la nacelle, et avec le bois de la lance il troua en deux endroits l’étoffe du ballon ; il se fit une ouverture de deux ou trois mètres ; le ballon descendit aussitôt avec une vitesse effrayante, et la terre reparut aux yeux des voyageurs épouvantés. Heureusement, quand on arriva dans une atmosphère plus dense, la rapidité de la chute se ralentit et finit par devenir très modérée. Les aéronautes commençaient à se rassurer lorsqu’ils reconnurent qu’ils étaient près de tomber au milieu d’un étang ; ils jetèrent à l’instant soixante livres de lest, et à l’aide de quelques manœuvres ils réussirent à aborder sur la terre, à quelque distance de l’étang de la Garenne dans le pare de Meudon. Toute cette expédition avait duré à peine quelques minutes. Le petit globe rempli d’air était sorti à travers l’ouverture de l’aérostat, il tomba dans l’étang, il fallut le retirer avec des cordes[1].

  1. Les ennemis du duc de Chartres ne manquèrent pas de mettre le dénouement de cette aventure sur le compte de sa poltronnerie. Dans son Histoire de la Conjuration de Louis d’Orléans, surnommé Philippe-Égalité, Montjoie, faisant allusion au combat d’Ouessant, dit que le duc de Chartres avait ainsi rendu les trois élémens témoins de la lâcheté qui lui était naturelle. On fit pleuvoir sur lui des sarcasmes et des quolibets sans fin. On répéta le propos que Mme de Vergennes avait tenu avant l’ascension, qu’apparemment M. le duc de Chartres voulait se mettre au-dessus de ses affaires. On le tourna en ridicule dans des vers satiriques, on le chansonna dans des vaudevilles. Tout cela était parfaitement injuste. En crevant son ballon au moment où il menaçait de l’emporter avec ses compagnons dans une région d’une incommensurable hauteur, le duc de Chartres fit preuve de courage et de sang-froid. Blanchard prit le même parti le 19 novembre 1785 dans une ascension qu’il fit à Gand, et dans laquelle il se trouva porté à une hauteur si grande, qu’il ne pouvait résister au froid excessif qui se faisait sentir. Il creva son ballon, coupa les cordes de sa nacelle, et se laissa tomber en se tenant accroché aux cordages du filet.