Page:Revue des Deux Mondes - 1850 - tome 8.djvu/206

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

de tous les côtés. Les bords de la rivière, l’amphithéâtre de Passy, l’École militaire, les Invalides et tous les alentours du Champ-de-Mars étaient occupés par les curieux. Trois cent mille personnes, c’est-à-dire la moitié de la population de Paris, s’étaient donné rendez-vous en cet endroit. À cinq heures, un coup de canon annonça que l’expérience allait commencer ; il servit en même temps d’avertissement pour les savans qui, placés sur la terrasse du Garde-Meuble, sur les tours de Notre-Dame et à l’École militaire, devaient appliquer les instrumens et le calcul à l’observation du phénomène. Délivré de ses liens, le globe s’élança avec une telle vitesse, qu’il fut porté en deux minutes à mille mètres de hauteur ; là, il trouva un nuage obscur dans lequel il se perdit. Un second coup de canon annonça la disparition du ballon ; mais on le vit bientôt percer la nue, reparaître un instant à une très grande élévation, et s’éclipser enfin dans d’autres nuages. Un sentiment d’admiration et d’enthousiasme indicible s’empara alors de l’esprit des spectateurs. Les yeux fixés sur le même point du ciel, tous recevaient, sans songer à s’en garantir, une pluie violente, qui ne cessait pas de tomber. La population de Paris, si avide d’émotions et de surprises, n’avait jamais assisté à un aussi curieux spectacle.

Le ballon ne fournit pas cependant toute la carrière qu’il aurait pu parcourir. Dans leur désir de lui donner la forme complètement sphérique du globe et d’en augmenter aussi le volume aux yeux des spectateurs, les frères Robert avaient voulu, contrairement à l’opinion de Charles, que le ballon fût entièrement gonflé au départ ; ils introduisirent même de l’air au moment de le lancer, afin de bien tendre toutes les parties de l’étoffe. La tension extrême du gaz amena la rupture du ballon lorsqu’il fut parvenu dans une région élevée ; il se fit à sa partie supérieure une déchirure de plusieurs pieds ; le gaz s’échappa, et le globe vint tomber lentement, après trois quarts d’heure de marche, auprès d’Écouen, à cinq lieues de Paris. Il s’abattit au milieu d’une troupe de paysans de Gonesse,, que cette apparition frappa d’abord d’épouvante ; pourtant ils ne tardèrent pas à se rassurer, et, pour se venger de la terreur qu’ils avaient ressentie, ils se précipitèrent avec furie sur l’innocente machine, qui fut en quelques instans réduite en pièces. Le premier ballon à gaz hydrogène, ce bel instrument qui avait coûté tant de soins et de travaux, fut attaché à la queue d’un cheval et traîné pendant une heure à travers les champs, les fossés et les routes. Cet événement fit assez de bruit pour que le gouvernement crût nécessaire de publier un avis au peuple touchant le passage ou la chute des machines aérostatiques. Dans les derniers mois de 1783, cette instruction fut répandue dans toute la France[1].

  1. Voici le texte de cette pièce naïve où se trouve relaté le fait d’un ballon pris pour la lune. — Avertissement au peuple sur l’enlèvement des ballons ou globes en l’air. « On a fait une découverte dont le gouvernement a jugé convenable de donner connaissance, afin de prévenir les terreurs qu’elle pourrait occasionner parmi le peuple. En calculant la différence de pesanteur entre l’air appelé inflammable et l’air de notre atmosphère, ou a trouvé qu’un ballon rempli de cet air inflammable devait s’élever de lui-même dans le ciel jusqu’au moment où les deux airs seraient en équilibre, ce qui ne peut être qu’à une très grande hauteur. La première expérience a été faite à Annonay, en Vivarais, par les sieurs Montgolfier, inventeurs. Un globe de toile et de papier de cent cinq pieds de circonférence, rempli d’air inflammable, s’éleva de lui-même à une hauteur qu’on n’a pu calculer. La même expérience vient d’être renouvelée à Paris, le 27 août à cinq heures du soir, en présence d’un nombre infini de personnes. Un globe de taffetas enduit de gomme élastique, de trente-six pieds de tour, s’est élevé du Champ-de-Mars jusque dans les nues, où on l’a perdu de vue. On se propose de répéter cette expérience avec des globes beaucoup plus gros. Chacun de ceux qui découvriront dans le ciel de pareils globes, qui présentent l’aspect de la lune obscurcie, doit donc être prévenu que, loin d’être un phénomène effrayant, ce n’est qu’une machine toujours composée de taffetas ou de toile légère recouverte de papier, qui ne peut causer aucun mal, et dont il est à présumer qu’on fera quelque jour des applications utiles aux besoins de la société.
    « Lu et approuvé, ce 3 septembre 1783.
    DE SAUVIGNY. »