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Que les dernières éliminations électorales aient précisément atteint les hommes de talent de l’opposition, on peut le regretter à divers points de vue, mais pas au point de vue politique. Le congrès n’est pas, que nous sachions, une académie des sciences morales : c’est un champ de bataille où se jouent chaque jour les destinées du pays ; or, dans toute bataille, n’est-il pas naturel de tirer de préférence sur les chefs ? Le ministère et ses amis n’ont fait ici que ce que l’opposition a vainement essayé de faire pour son propre compte. Si quelques progressistes ont été épargnés pendant que le ministère et le pays refusaient tout quartier aux néo-conservateurs, c’est qu’il est encore de droit et d’usage de traiter plus sévèrement les faux frères que les ennemis déclarés. Est-il d’ailleurs permis d’affirmer à coup sûr que les hommes nouveaux qui viennent d’être appelés au congrès ne valent pas, sous le rapport du talent, les hommes anciens qui viennent d’en être exclus ? On en disait autant après les élections de 1839 et de 1846, et cependant c’est parmi les hommes nouveaux sortis de ces deux élections que se recruta le noyau de la première majorité intelligente qu’ait produit chez nos voisins le système représentatif, de la seule majorité qui ait eu le bon sens de rompre avec les erremens de l’imitation française et anglaise et d’appliquer, comme le demandait Larra, « à des maux espagnols des remèdes espagnols. »

Quant à la retraite de M. Mon du ministère, nous en avons tout les premiers exprimé nos vifs regrets ; mais cette retraite, quel qu’en soit le motif, n’est pas une rupture politique. Dans deux circonstances solennelles, M. Mon a donné à son ancien collègue l’appui le plus loyal et le plus déclaré. Il n’est pas moins à désirer que l’habile et courageux réformateur rentre au ministère, d’autant plus qu’il peut y rentrer sans crise et sans exclure M. Bravo-Murillo, qui trouverait parfaitement sa place dans la nouvelle combinaison. Nous ne nous inspirons ici d’aucune espèce de préférence personnelle, nous ne voudrions pas surtout qu’on vît dans nos paroles l’écho de certaines intrigues qui s’abritent, sans y être autorisées, derrière l’influence de M. Mon ; mais il est impossible de se le dissimuler : depuis la retraite de celui-ci, l’administration espagnole ne marche plus qu’avec hésitation dans les voies économiques où elle était si résolûment entrée. Nous n’en voudrions pour preuve que la déplorable atteinte qui vient d’être portée au principe de la réforme douanière. Les évaluations destinées à servir de base à la perception des nouveaux droits avaient été tellement exagérées, qu’on s’aperçut, il y a quelques mois, que la fraude était aussi active sur certains articles que précédemment. La conclusion logique de cette découverte était l’abaissement des évaluations ; mais, au lieu d’aller en avant, M. Bravo-Murillo a trouvé plus court de reculer. Au lieu de diminuer l’appât de la fraude, il a demandé des entraves à l’arsenal de l’ancienne législation, et la zone douanière a été élargie de façon à gêner les transactions dans vingt-six provinces sur quarante-sept dont se compose le territoire continental de la Péninsule. Il suffirait de deux ou trois mesures de ce genre pour anéantir en germe tous les résultats de la nouvelle loi des tarifs.

Ces réserves faites, est-il juste de dire que le général Narvaez oublie pour la politique proprement dite, et surtout pour la politique personnelle, les besoins matériels du pays ? N’est-ce pas sous sa présidence, avec son concours actif et parfois même sous sa direction, que se sont accomplies les grandes réformes administratives et économiques de 1849 ? Faut-il encore compter pour