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et les faits répondront pour nous. On ne peut nier que l’Europe est aujourd’hui aussi avancée dans la voie contre-révolutionnaire qu’elle l’était, il y a deux ans, dans la voie révolutionnaire ; l’Espagne, en particulier, jouit, depuis 1848, d’un calme qu’elle n’avait jamais connu, et cette réaction subite de sécurité intérieure et extérieure, succédant sans transition à la réaction de la peur, aurait suffi, dans les pays les mieux constitués, à énerver l’esprit public. Qu’est-il arrivé pourtant ? Le pays, appelé à se prononcer directement, a renchéri sur les témoignages de confiance et de discipline que le congrès donnait, dès le lendemain de février, au ministère. Il en faut conclure, bon gré, mal gré, que le pacte est plus intime que jamais, que la reconnaissance nationale continue en 1850 au cabinet Narvaez le mandat que lui déférait la peur en 1848, et que le général Narvaez, si tant est qu’il se soit bien vivement préoccupé jusqu’à ce jour de défendre sa position personnelle, n’aurait été en cela que le complice du vœu du pays.

Mais ici arrive l’objection de rigueur. Les élections de 1850, nous dit-on, ne sont pas l’expression de la pensée nationale ; les manœuvres que le gouvernement a mises en jeu pour les fausser ont dépassé toutes les limites permises. La corruption ne lui a pas suffi, et il y a joint l’intimidation. Les préfets du cabinet Narvaez ont laissé bien loin les commissaires de M. Ledru-Rollin. À Ecija, à Jaen, à Alicante, à Malaga, à Séville, à Saragosse, partout enfin où le ministère a trouvé devant lui un candidat sérieux, n’importe la nuance, des arrestations, des ordres de bannissement, des vexations de toute espèce sont venus comprimer la liberté du vote. Les électeurs étaient enrégimentés de force, puis conduits par bandes, entre des sbires, au scrutin, et, pour vaincre le mauvais vouloir des petites communes, l’administration les menaçait de poursuites et de contraintes fiscales… - Arrêtons-nous là. Si ce tableau n’est pas chargé, voilà certes, de deux choses l’une, ou un gouvernement bien riche et bien fort, ou un pays bien corruptible et bien lâche ; mais raisonnons froidement.

Nous pourrions dire que la corruption et l’intimidation s’excluent : nous préférons discuter séparément l’une et l’autre accusation. Quels sont d’abord les moyens de corruption que le gouvernement aurait pu mettre ici en jeu ? L’argent. Hélas ! le gouvernement n’a pas un centime de fonds secrets, et, bien loin de disposer d’excédans de recettes, il n’a pas même encore réussi à joindre, comme on dit, les deux bouts. Sur ce terrain du budget, le ministère espagnol, bien loin de recruter des voix, en est réduit à se faire des ennemis nombreux, puisque le traitement de tous les retraités est encore en retard. — Les places ? Pour cimenter la réconciliation des partis, le gouvernement a reconnu les grades et emplois conquis dans la guerre civile ; les cadres de l’administration et de l’armée regorgent, et le vœu hautement manifesté du cabinet Narvaez, c’est d’arriver à les réduire au fur et à mesure des extinctions. — Seraient-ce enfin les remises temporaires ou définitives d’impôt ? Par quel hasard arrive-t-il dès lors que la recette du mois d’août, de ce mois qui, d’après l’opposition espagnole, aurait été consacré à acheter la complaisance des contribuables, ait été précisément l’une des plus considérables de l’année, et ait égalé presque le neuvième de la recette annuelle ? Le fait a été constaté. Nous avons en outre expliqué un autre jour comment l’application du système fiscal, bien loin d’offrir des moyens de captation au ministère, le mettait chaque jour, et pour quelque