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leur destin les condamne, et qui ne se donnent de mouvement qu’autant qu’il en faut pour l’acquit de leur conscience. L’immobilité répugne à la nature bouillante et bretonnante de M. de Larochejaquelein. Il a une fois raconté qu’ennuyé du calme plat de la restauration, il s’en alla guerroyer contre les Turcs. Il a fait à l’intérieur, dans ces dernières années, quelque chose d’analogue ; il s’ennuyait tant de l’inertie avec laquelle les légitimistes de sang-froid se tenaient sur l’expectative, qu’il s’est attelé sans crier gare à toutes les impatiences des légitimistes d’aventure ; il a fait à l’intérieur sa campagne de Turquie.

De pareilles fantaisies ne sont assurément point messéantes, et elles ne déplaisent pas chez des individus ; mais, de borine foi, l’on ne saurait les imposer à tout un parti comme des règles de conduite. Le mouvement pour le mouvement, c’est une pratique salutaire, quand il ne s’agit que l’entretenir la santé du corps et de dépenser la surabondance de sève d’une organisation luxuriante. Plutarque nous rapporte que le vaillant Eumène, long-temps enfermé avec sa cavalerie dans la citadelle de Nora, s’avisa de suspendre ses chevaux en l’air et de les faire fouetter ainsi suspendus, afin de les forcer à piétiner dans le vide, et à se conserver dispos en piétinant rien que pour piétiner. Nous ne voudrions pas qu’on empêchât M. de Larochejaquelein de piaffer autant qu’il lui plaît, et nous convenons même avec ses amis qu’il piaffe de bonne grace. Nous prenons seulement la liberté de soutenir qu’il est des situations invincibles où la dignité des idées et des caractères, dans un parti politique, est infiniment moins sauvegardée par le bruit d’une agitation stérile que par le silence d’une attente impassible. Que cette impassibilité de l’attente ne devienne point à la longue de l’énervement et de la léthargie, c’est une autre question ; mais c’est une question aussi de savoir si les coups de tête multipliés des enfans perdus d’une avant-garde isolée ne sont point bientôt pour la fortune du drapeau qu’ils défendent des symptômes aussi funestes que le sont pour la durée de la lumière les derniers scintillemens d’un flambeau qui s’éteint.

Après avoir placé si haut le but auquel il vise, M. le comte de Chambord ne peut plus se rabattre aux calculs de la politique vulgaire ; comme il l’avait déjà dit, il n’est pas un prétendant, il est un principe. Ce principe qu’il affirme derechef dans son implacable intégrité, c’est, si l’on veut, un rivage de salut pour la France, mais un rivage bien ardu, bien lointain, pour que le navire de la France y puisse aborder. Qu’importe ? Ce n’est pas le rivage qui se déplace, c’est au navire d’approcher. Attendre debout sur ce promontoire que la marée amène jusqu’à ses pieds la barque battue des vents, telle est maintenant l’attitude que M. le comte de Chambord a choisie, et cette attitude nous plaît, parce qu’elle est celle d’un fils de roi. La barque, il est vrai, n’est pas toujours assez forte pour résister à la violence de la marée. Nous l’avons déjà vu. Nous avons vu plus d’une barque brisée contre le roc même où les ambitions qui la poussaient rêvaient un piédestal. Qu’importe encore une fois ? La France est si découragée, si lasse, si anéantie, qu’elle viendra s’échouer tôt ou tard comme un corps mort sur ce rivage désiré… E pur si muove et pourtant, dans la sincérité de notre ame, nous ne prévoyons pas une dissolution tout ensemble si complète et si incomplète, que la France épuisée, brisée, eût encore l’énergie singulière de venir renier tout ce qu’elle a cru, abdiquer