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la personne. Nous avons eu déjà bien assez d’éditions du roman de Charles-Édouard, et M. le comte de Chambord, assailli par ces députations de paysans mis à neuf et d’ouvriers pour rire, avait un moment été menacé de voir la majesté de son vieux principe et de son vieux rang étouffée sous le fatras de la popularité factice que lui, bâtissaient nos modernes faiseurs. M. le comte de Chambord s’est tiré de ce mauvais pas en véritable Bourbon ; il a prononcé sur lui-même et sur sa cause un juste décret, un décret de roi ; il a rompu d’un mot tous ces sortilèges de mauvais goût, toute cette fantasmagorie mensongère qui s’avisait de le métamorphoser, aux yeux de la foule, en le donnant pour ce qu’il n’était pas et ne pouvait pas être. Il a dit tranquillement, noblement, et ce qu’il était, et qu’il ne serait jamais que ce qu’il avait toujours été : Sit ut sit, aut non sit. Lorsque le grand Condé, par un sublime élan de jeunesse et de confiance guerrière, jeta son bâton de commandement dans les retranchemens de la ville qu’il assiégeait, il y eut des grenadiers pour l’aller chercher, et la ville fut prise. Le nouveau manifeste lancé par M. de Chambord au milieu des partis en discorde, c’est le bâton de Condé lancé dans les lignes ennemies ; reste à savoir si le hardi jeune homme trouvera des soldats pour courir le relever et pour le lui rendre à la face de la France. Le trait est beau d’audace, et nous en félicitons d’autant plus librement l’auteur, qu’il nous paraît fort douteux que l’audace soit heureuse.

Nous le félicitons aussi parce qu’il était à propos d’en finir avec ces légitimistes de contrebande qui brouillaient toutes les idées sans plus de cérémonie que s’ils n’avaient pas en même temps brouillé toutes les notions de morale politique. Les intrépides conciliateurs ne reculaient devant aucune bizarrerie d’assemblage hétérogène ; ils auraient, ou peu s’en faut, cousu la cocarde blanche au bonnet rouge. Ils avaient inventé de longue date une fameuse solution qui mettait d’accord la souveraineté du peuple et la royauté de droit divin, à la condition toute simple que le peuple fût toujours d’avis d’élire le roi, et le roi toujours d’avis d’être élu. Ils avaient refait tout exprès l’histoire de France pour y montrer leur système en action, afin qu’il fonctionnât du moins quelque part. Ils prétendaient même avoir reçu de bonnes paroles du comte de Chambord, qui a sans doute ses raisons pour ne mécontenter les gens qu’à la dernière extrémité. Par exemple, c’est justice de reconnaître que, l’extrémité venue, le jeune prince n’hésite pas et ne marchande pas. Il a condamné la doctrine de l’appel au peuple ; c’était peu : de ce même coup, il a restitué le dogme pur du droit absolu de la légitimité ; il a réclamé pour lui seul la direction impérieuse des consciences et des votes ; il a repris dans sa main tout ce qui lui reste de son état de France ; il a promulgué pour tous ceux qui étaient encore ses féaux le programme de son grand aïeul Louis XIV : « L’état, c’est moi. » N’en déplaise à M. de Saint-Priest, la circulaire signée de M. de Barthélemy dit tout cela ; elle le dit avec une autorité irréfragable, et nous répétons encore qu’elle fait bien de le dire.

À ce propos, nous comprenons beaucoup mieux le chagrin de M. de Larochejaquelein que l’embarras trop visible de M. de Saint-Priest. Dire tout cela, exiger l’obéissance passive, supprimer en vertu d’une consigne la diversité des impulsions individuelles, revendiquer au pied de la lettre l’ancienne monarchie, c’est se condamner et condamner tout son monde à l’immobilité. L’immobilité plait à de certaines natures qui ont pris leur parti de l’impuissance à laquelle