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encore pour le même but, ne saurait tourner ses regards que vers la Suisse, comme vers la nation la plus intéressée à coopérer à cette grande œuvre.

« C’est pourquoi une déclaration politique de ce genre de la part de la diète extraordinaire que le Vorort vient de convoquer pour le 13 de ce mois aurait toute son opportunité, et satisferait à la fois à la situation politique et aux intérêts réciproques du présent et de l’avenir des deux pays.

« La Suisse n’a qu’à rappeler à son souvenir les tristes destinées de la république de Venise, déclarant, à la fin du siècle dernier, vouloir conserver sa neutralité entre les parties belligérantes, pour juger qu’une semblable attitude ne convient nullement à sa dignité, ainsi qu’à la gravité des événemens du jour, qui peuvent, d’une manière inopinée, surprendre quiconque, sans perte de temps, ne se place pas en mesure de les dominer.

« La Suisse a besoin de déployer un armement immédiat de trente mille hommes, dont vingt mille au moins portant sur l’échiquier militaire de l’Italie, et d’une réserve d’une force égale prête à marcher au premier appel.

« Le soussigné (chevalier Racchia), chargé d’affaires de sa majesté le roi de Sardaigne, fait des vœux pour que cette opinion franche et loyale puisse être celle de la diète fédérale, appelée à prononcer sur un argument d’un si grand intérêt, et il s’estimerait heureux de pouvoir concourir, d’après les vues de son gouvernement, à une semblable combinaison par un traité spécial d’alliance offensive et défensive entre les deux pays… »


À part la singulière comparaison historique de l’agent piémontais, qui mettait sur la même ligne l’aristocratie mourante de Venise et cette démocratie helvétique si active, qui, peu de mois auparavant, avait réuni plus de cent mille hommes sous les armes, la note sarde présentait aux Suisses les perspectives les plus séduisantes. Elle leur rappelait le rôle prédominant qu’ils avaient joué autrefois dans le duché de Milan, la gloire qu’ils s’étaient acquise dans les batailles de Novarre et de Marignan ; elle leur faisait remarquer que l’Autriche, cette puissance étrangère qui, en 1847, avait donné au Sonderbund des secours en armes, en argent, et lui avait même envoyé des officiers, était faible et perdue selon toute apparence ; elle parlait de la tendance naturelle de la Suisse vers la mer. L’envoyé sarde faisait en outre entendre dans ses communications verbales que la Suisse n’aurait qu’à demander dans un traité spécial des avantages pour l’exportation de la soie brute et l’importation de ses produits industriels de tout genre dans la Haute-Italie ; il lui faisait même entrevoir l’acquisition d’un port de mer dans la Méditerranée. Des paroles semblables, partant du ministre des affaires étrangères du gouvernement provisoire, arrivaient aussi de Paris à la diète. Le moment était des plus critiques, car il suffit de se rappeler quelle était alors la situation pour se convaincre que, si la Suisse avait accepté les offres sardes, elle aurait presque infailliblement entraîné dans la lutte la France et l’Allemagne. La diète du petit peuple suisse fut donc un moment appelée à décider