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auquel le journaliste n’eût pu se dispenser de mettre une sourdine, s’il l’eût récité tout seul en personne naturelle. Cette sourdine viendra forcément à l’heure qu’il est. On ne peut pas signer Pierre ou Jean, Jean ou Pierre, et dire en face à M. tel ou tel qu’il a été terrible, pathétique, sublime, magnifique : ces choses-là ne se disent avec un nom d’auteur en bas de la page qu’aux chanteuses qui ont le faible de les aimer. Ce faible est naturellement moins pardonnable chez un homme d’état que chez une prima donna, et l’on en sait pourtant et de tous les bords qui souffriront à leur tour d’avoir perdu les admirations à outrance, en s’ôtant les admirateurs anonymes. C’est à peu près là tout le châtiment que nous leur souhaitons, quand nous sommes, nous aussi, de bonne humeur ; nous affirmons qu’il ne laissera pas d’être sensible, et, si mesquin qu’il soit, nous nous en contentons, parce que la faute en elle-même n’est pas moins mesquine. Qu’est-ce au fond que tout cela, sinon une vengeance d’amour-propre dirigée des couloirs du parlement contre le bureau du journal ?

Parlons de choses plus relevées. L’événement de la quinzaine, c’est la division qui a définitivement éclaté dans le camp légitimiste ; c’est l’apparition foudroyante du manifeste de Wiesbaden. Nous dirons toute notre pensée sur cette pièce remarquable, car il nous est facile de la dire sans manquer au respect que nous éprouvons pour les grandes infortunes. Tout au contraire, ce respect qu’il est si bon d’avoir dans le cœur vis-à-vis des hautes puissances déchues, cet attendrissement mélancolique que la fatalité de leur déchéance nous inspire, on le sent redoubler, et l’on s’enorgueillit pour elles, lorsqu’on les voit renoncer fièrement à se rendre possibles, en arborant toujours comme un étendard de salut le drapeau même sous lequel elles ont sombré, le signe sous lequel elles ont été vaincues.

Tel est, à notre sens, le mérite suprême de la circulaire sortie, « par hasard ou autrement, » comme l’insinue M. de Saint-Priest, du comité de la rue Monthabor. Nous supplions les hommes éminens qui paraissent aujourd’hui regretter assez vivement cette publicité imprévue de ne point tant crier à l’indiscrétion ou à la surprise. Il se peut que l’indiscrétion ait dérangé les plans éphémères et la courte sagesse de quelques enfans du siècle égarés parmi les enfans de lumière ; mais elle tourne à l’honneur des principes immuables du droit antique, elle glorifie le caractère de ceux qui, ne les voulant pas déserter, les embaument pieusement pour les porter dans leur sein, quand les principes eux-mêmes n’ont plus la force de se tenir. Nous ne disons pas que les noms, d’ailleurs si considérables, de M. le duc de Levis, de M. le duc des Cars, de M. le marquis de Pastoret, soient pour l’opinion légitimiste la meilleure garantie d’un succès très pratique et surtout très immédiat ; nous avouons même que c’est tout l’opposé qui nous paraît vrai. Nous disons seulement que, pour la bonne renommée de la France et pour celle de la branche aînée des Bourbons, nous préférons la franchise héroïque, la simplicité religieuse avec laquelle ces noms ont été choisis, aux équivoques et aux comédies avec lesquelles on les eût écartés.

Nous avons été sévères, nous le reconnaissons, pour les jeux prétentieux de Wiesbaden ; notre sincérité n’a peut-être pas eu tous les égards qu’elle devait aux sentimens qu’on essayait d’amuser par des démonstrations d’opéra-comique. C’étaient des sentimens intéressans, soit ; mais c’étaient des sentimens faux qui entouraient d’un nuage ridicule un prince dont on aurait dû ménager mieux