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dirigea, et bientôt nous le vîmes revenir vers nous en courant. Sa figure rayonnait. L’île est remplie de gazelles ! nous dit-il.

Nous étions sous le vent des arabat, ce qui devait simplifier nos dispositions. Nous nous séparâmes pour aller nous embusquer sur les deux rives, tandis que le chasseur de M. D. se chargerait de pénétrer dans l’île. Gazaïn ne devait commencer son mouvement que lorsque tout le monde serait à son poste. Alors il laissa tomber son couari blanc et son turban rouge, arrangea son couteau et ses sacs à plomb de manière à éviter tout choc bruyant, et retourna vers l’île, où il se glissa en rampant comme une couleuvre d’arbre en arbre. Tout cela avait pris un certain temps, et pour mon compte je commençais à m’impatienter, lorsque je pus voir une gazelle se lever et faire face au point par lequel arrivait l’Abyssin. À un autre mouvement de Gazaïn, qui sans doute fit crier quelque feuille sèche, l’inquiétude de l’antilope toujours immobile se trahit par un cri semblable au bruit que fait un homme en toussant. À ce cri, d’autres gazelles se levèrent, se tournèrent aussi vers Gazaïn, puis toussèrent à leur tour ; de proche en proche, l’alerte se propagea, et tout le troupeau, couché dans l’herbe cinq minutes avant et tout-à-fait invisible, fut sur pied : il y avait plus de trois cents arabat réunies sur cette île verte et fraîche, que les cimes des grands arbres couvraient de larges pans d’ombre. Les plus rapprochées de Gazaïn ne bougeaient pas plus que si elles eussent été de marbre. Celles qui étaient plus en arrière bondissaient d’impatience, ou battaient la terre de l’une des jambes de devant. Les unes, les vieux mâles par exemple, aux longues cornes tordues, au pelage presque blanc, avaient la taille d’un veau ; d’autres étaient grandes comme des chèvres ; il y avait aussi des faons qui, ne comprenant rien à cette panique, allaient, venaient ou tournaient autour de leur mère, insoucieux du danger inconnu. C’était quelque chose de beau à voir ; mais quand le premier coup de feu de l’Abyssin retentit, suivi de près d’un second, quand tout le troupeau effaré bondit en bramant de terreur, le nez au vent, les cornes couchées sur le cou, les quatre jambes réunies sur un espace grand comme la main pour se détendre comme un ressort d’acier, le spectacle de ces gracieux animaux s’élançant sur le sable du torrent et emportés dans une course rapide comme l’éclair devint vraiment admirable.

Nous en avions abattu quatre, sans parler de quelques autres que nous pouvions voir se traîner sur les traces du troupeau. Personne ne fut tenté de les poursuivre : celles-là étaient à coup sûr destinées aux panthères. Nous courûmes à celles restées sur le terrain. Deux vivaient encore et se débattaient dans le sang ; des pleurs tombaient goutte à goutte de leurs larmiers ; c’était pitié d’entendre leur dernière