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à quoi que ce fût. Tout à coup il fit signe à chacun de se taire, et le cou tendu, respirant à peine, la tête penchée du côté des montagnes du sud-ouest, il écouta quelques instans, et son doigt, se levant lentement, désigna un point de l’horizon. Nous écoutions aussi, et, au bout de quelques secondes, nous pûmes saisir un son lointain, pareil à l’explosion d’un coup de fusil. Ce son si faible fit bondir Mohammed-Nouraï, qui s’élança hors de la tente en criant : — A moi, les enfans du Naïb ! Les Bédouins se pressèrent autour de leur chef. — J’ai entendu le fusil de Fokad parler dans cette direction ; il doit être aux prises avec l’ennemi ; qui vient avec moi à son aide ? — Il n’y eut qu’une seule voix : — Tous ! et Mohammed-Nouraï s’éloigna rapidement au milieu des ténèbres.

Pour éviter toute surprise de la part des hommes aussi bien que des bêtes fauves, qui profitent de l’obscurité pour venir à l’eau, il fut décidé que nous aurions deux factionnaires chargés d’entretenir nos feux, dont la clarté inondait le terrain à plus de cent pas autour de notre petit camp. Ces factionnaires devaient se relever d’heure en heure, et, comme il ne faut point compter sur les indigènes pour cette garde nocturne, ce soin nous revenait exclusivement. Toutefois les sentinelles ne furent posées que bien avant dans la nuit. Jusque-là personne ne songeait à dormir, et les Bédouins, accroupis autour de notre chamelier en chef, l’écoutèrent tourmenter pendant de longues heures les cordes de sa lyre. Le barde du désert chantait de molles chansons d’amour, des hymnes consacrées aux héros du clan, ou de malicieux sirventes à l’adresse de quelque mari jaloux et trompé ; puis, comme la pluie tombait, chacun chercha un abri, et le bruissement monotone des gouttes d’eau sur les feuilles des arbres ou sur la toile de la tente assoupit toutes les voix de la solitude, même celle des petites cascades par lesquelles la source coule de marche en marche sur son lit de rochers.

Quand le jour parut, la pluie avait cessé. Le soleil se leva dans un ciel radieux, au milieu duquel nageaient encore quelques légers nuages que les premières clartés de l’orient coloraient déjà. Le vent du matin berçait de ses caresses les rameaux de la forêt tout humide, et charriait cette senteur de végétation douce et saine que les poumons aspirent avec délices. Des chacals attardés regagnaient leur demeure souterraine, les pintades s’éveillaient dans les bois, les merles moqueurs, perdus sous l’épaisse feuillée, chantaient des gammes douces et claires comme celles de l’harmonica, et des tisserins jaunes gazouillaient de joyeux refrains au bord de leur nid en poire, suspendu par un fil à l’extrémité de chaque branche de gommier.

Deux heures de soleil ayant séché la terre, nous nous mîmes en route. La veille, tout en fumant le chibouk après le repas du soir,