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Sauf le caleçon et la manière de porter les cheveux, le costume de Mohammed-Cotten différait peu de celui de Gazaïn. Le cordon de soie bleue était remplacé par le chapelet aux grains de verre jaune des musulmans, et le fusil par la daraga (bouclier) en peau d’éléphant, accompagné d’un long sabre droit à double tranchant, à poignée en fer figurant une croix, et d’une zagaie de six pieds de long. Des sachets en maroquin rouge, renfermant de précieuses amulettes, ornaient son bras gauche ; et comme le chef de nos chameliers était aussi le musicien de la bande, il ne se mettait jamais en voyage sans jeter derrière ses épaules une sorte de lyre à cinq cordes, dont la caisse sonore consistait en une moitié de calebasse recouverte d’une peau grossièrement tendue. Quant à la chevelure, que l’on imagine une tête bistre, perdue dans une forêt de cheveux taillés comme les perruques à la mode sous la fin du règne de Louis XIV, beurrés journellement, et inondés les jours de fête de gouttelettes de suif qui, en se caillant, avaient l’air d’une couche de neige. Une aiguille en bois d’un pied de long, toujours fichée dans les boucles, tenait lieu de peigne[1].

Or, Mohammed-Cotten était à dix lieues à la ronde un modèle d’élégance, de même qu’il n’avait point d’égal pour la bonne mine, pour la vivacité de la repartie, pour ses chansons et aussi pour son habileté de voleur. Il ne faudrait pas croire que ce dernier genre de supériorité projetât la moindre tache sur une aussi brillante réputation ; ces gens-ci ne font pas une grande différence entre le tien et le mien, et, en parlant de notre chamelier en chef, c’était tout au plus si les plus sévères ajoutaient : Iddou chouïé khafif ! (sa main est un peu légère.)

— Sais-tu où est le khawadgè[2] Arnaud ? demandai-je à Mohammed-Cotten, qui me répondit l’avoir vu passer avec M. D… Tranquillisé sur le compte de mon compagnon de voyage, je m’enfonçai avec les trois Abyssins dans le défilé étroit, difficile, qui s’ouvrait devant nous. Ici, la nature alpestre se mariait déjà à la triste végétation des basses terres. Des basilics géans, des menthes qui étaient des arbustes, mille plantes des montagnes aux magnifiques fleurs peuplées d’insectes richement

  1. La coiffure que nous décrivons ici est celle de beaucoup d’indigènes abyssins. Les uns divisent la masse volumineuse de leurs cheveux en petites tresses qu’ils laissent retomber tout naturellement ; d’autres les disposent d’une façon plus ou moins bizarre ; quelques-uns, ceux seulement qui ont tué un ennemi, ont le droit de les relever sur le sommet de la tête. Cet usage semble remonter à l’époque la plus reculée, si l’on en juge par certains personnages figurant dans les monumens de l’ancienne Égypte, notamment dans les fresques des sépulcres royaux du Biban-el-Moulouk et dans celles des cryptes de Gournèh, la nécropole de Thèbes. Quelques peuplades du Samhor, les Danakil par exemple, poussent la coquetterie jusqu’à saupoudrer le tout d’un peu de chaux vive qui donne aux cheveux une teinte d’un fauve ardent.
  2. Appellation usitée envers les chrétiens, le mot sid (seigneur) n’étant employé que lorsqu’il s’agit d’un musulman.