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même temps que moi dans cette gorge trois de nos hommes. C’étaient le petit Gabrio, Gazaïn, le chasseur de M. D…, et Mohammed-Cotten, le chef de nos chameliers.

Gabrio, esclave galla de douze à treize ans, appartenait au consul britannique en Abyssinie[1]. Son maître, alors en Angleterre, sans doute pour ne point attirer sur lui l’attention des saints membres de l’Anti-Slavery-Society, n’avait point jugé à propos de l’emmener à Londres, et avait préféré le laisser en dépôt à M. D… Je n’ai pas autre chose à dire de Gabrio, si ce n’est que, grace aux leçons du chasseur Gazaïn, il se servait déjà d’une manière très passable d’un fusil qu’un voyageur blanc lui avait donné en échange de quelques petits services, fusil qu’à ses heures inoccupées l’enfant caressait avec tendresse, et dont la possession le consolait et de sa liberté perdue et des siens qu’il ne reverrait jamais.

Gazaïn était un Abyssin de vingt-sept à vingt-huit ans, de moyenne stature. Malgré la couleur brun-foncé de sa peau, son nez aquilin, ses lèvres fines et les pommettes de ses joues peu saillantes accusaient évidemment l’origine sémitique de la race à laquelle appartiennent presque toutes les populations de l’Amhara[2]. Son costume se composait d’un caleçon s’arrêtant bien au-dessus du genou, selon la mode de son pays, et collant de façon à dessiner la moindre saillie des muscles ; d’un couari[3] à large bordure rouge, sorte de couverture dans laquelle chacun se roule, et dont les longs plis rappellent souvent les draperies antiques ; enfin d’un cordon de soie bleue passé à son cou, signe par lequel les chrétiens de l’Abyssinie se distinguent des musulmans. À la chasse, il nouait autour de sa tête le fourreau en drap écarlate dans lequel il serrait soigneusement chaque soir son fusil à deux coups. Une courroie de cuir soutenait sa poire à poudre, faite d’une corne d’antilope curieusement ouvrée, ainsi qu’un robuste couteau et quelques sacs à mettre son plomb et ses balles. Il y avait sur sa figure un air de franchise et de gaieté qui était le fond de son caractère ; mais quand la crosse de son fusil venait s’appuyer brusquement à son épaule droite, et que le bout du canon suivait les mouvemens saccadés d’une panthère ou les bonds d’une gazelle, ses narines se dilataient, et sa prunelle s’allumait d’un éclair de passion sauvage, d’audace et de ruse qui échappe à toute description.

  1. M. W. Plowden, que les événemens politiques survenus en Abyssinie du mois de janvier 1849 au mois d’avril 18(0 ont forcé à quitter ce pays.
  2. Nom qui dérive probablement de la même racine que le Hamyar des Arabes, et qui s’applique à une grande province de l’Abyssinie.
  3. Le couari se fabrique en Abyssinie. C’est un tissu en coton non tordu, de la grandeur de nos couvertures, terminé à ses deux bouts par une large raie rouge, et quelquefois par une broderie en soie de couleurs vives et d’un bon effet.