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pratiquée au bas du godet, aspirèrent d’épaisses bouffées de fumée. Une fois l’estomac plein d’eau et de fumée, les deux chasseurs cherchèrent à faire comprendre aux Bédouins qu’ils avaient besoin d’un guide ; mais tous leurs efforts furent inutiles, et ils ne purent en tirer d’autre réponse que celle-ci : Mitou (qu’est-ce) ? Heureusement, M. Arnaud se souvint que nous allions à Eylat, et le mot rial ou thaler[1], prononcé à la suite du nom du lieu, ouvrit toutes ces intelligences comme par miracle : la langue de feu tombée sur chacun des apôtres du Christ ne dut pas opérer d’une manière plus complète ni plus rapide. Les Bédouins tinrent conseil un moment, puis l’un d’eux se leva, prit sa lance, jeta son bouclier en peau d’éléphant derrière le dos, et leur fit signe de le suivre. Les chasseurs et leur guide étaient en marche depuis plus d’une heure lorsque la détonation d’un coup de fusil parvint à leurs oreilles et fut bientôt suivie d’une autre c’étaient les deux derniers coups de fusil tirés par moi, dont l’écho leur renvoyait le bruit. — Du moment où nous nous trouvions réunis, le guide devenait inutile ; mais, nul de nous n’ayant de l’argent sur lui pour le payer, et le Bédouin comptant trop sur une part du déjeuner des blancs qu’il venait de tirer d’un cruel embarras pour être tenté de rebrousser chemin, il ne fit aucune difficulté pour nous suivre.

Le but de notre exploration était atteint, nous avions retrouvé nos compagnons égarés, et nous pûmes nous remettre en route. Nous arrivâmes bientôt à Saati, où nous passâmes la nuit. Une tempête et une chasse, la mer et le désert, les dangers d’une navigation sur le golfe Arabique et les fatigues d’une course périlleuse, telles étaient les premières émotions de notre pèlerinage ; tels sont aussi les incidens trop ordinaires d’un voyage dans une partie de l’Afrique qui ne sera long-temps encore pour les Européens qu’une terre primitive.


III

La vallée de Saati, que nous avions choisie pour lieu de halte, est entourée de rochers calcaires. Le fond de ce gouffre désolé est occupé d’un côté par une mare qu’entretiennent des sources invisibles, de l’autre par un filet d’eau saumâtre qui sort de terre pour aller se perdre à quelques pas de là dans le sable, et au milieu, par un espace de terrain sur lequel des gommiers rabougris se tordent au soleil. La mare, peuplée de tortues qui viennent de temps à autre dormir à la surface de l’eau, est le rendez-vous de tribus de saksak, de vanneaux porte-lambeaux, de raies, de glaréoles à collier noir, de petites bécassines à bec rose. Un peu avant le coucher du soleil, il tomba sur les bords de

  1. Monnaie connue dans tout l’Orient sous le nom même de thaler et valant 5 francs 25 centimes