Page:Revue des Deux Mondes - 1850 - tome 8.djvu/166

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

notre hôte de Masswah, et M. Arnaud. — Que diable font-ils en arrière ? se demandait-on. — Ce qu’ils font ? dit l’un ; ils chassent, parbleu ! — Stéphen marche comme les oies de mon pays, observa le canonnier turc ; je suis sûr qu’il s’arrête à chaque pas pour s’assurer que ses pieds ne sont point restés en route. — Tant pis pour eux, ajouta l’agent consulaire ; le déjeuner est prêt, et nous les attendrons en mangeant.

Une heure se passa ainsi. — Ils se seront égarés ! dit quelqu’un. Il était alors onze heures, et cette crainte commençait à prendre l’apparence de la réalité ; l’on envoya les chameliers à la recherche des absens. Au bout d’une autre heure, ces hommes revinrent sans avoir rencontré nos compagnons. Je me mis alors en route avec un Abyssin que j’avais pris à mon service, et qui portait une zenzamiéh (vase) pleine d’eau, ainsi qu’un flacon d’eau-de-vie. Nous marchâmes près de deux heures, et enfin un faible cri répondit aux détonations répétées de nos fusils. Bientôt des cris plus rapprochés se firent entendre ; c’étaient nos compagnons qui accouraient.

L’incident qui les avait séparés de nous mérite d’être raconté. Presque dès notre entrée en chasse, mon compagnon M. Arnaud et le Grec Stéphen s’étaient mis à la poursuite d’une volée de pintades à travers des halliers inextricables. M. Arnaud en avait tiré deux ; mais, quand il fut question de nous rejoindre, les chasseurs ne virent plus personne : il fallut alors se mettre à la recherche du chemin, au milieu de vallées qui ont des centaines de sentiers frayés par les pâtres et leurs troupeaux : c’est dans un de ces chemins qu’ils s’engagèrent au bout de cinq minutes. Pour comble de malheur, ils y trouvèrent l’empreinte toute fraîche des sabots d’une mule, et, ne doutant pas qu’ils fussent sur la bonne voie, ils marchèrent dans la même direction durant plus de deux heures. Alors le voyageur français crut voir passer quelque chose de fauve à travers les buissons de gommiers.

— Est-ce une gazelle que je viens de voir là-bas ? demanda-t-il au Grec.

— Votre fusil est-il chargé ? dit celui-ci sans répondre à la question qui lui était faite.

— Non.

— Alors chargez-le bien vite, continua Stéphen, et que Dieu nous garde de ces gazelles-là !

Qu’est-ce donc alors ?

— Un lion, ni plus ni moins, et des beaux encore ! Tenez ! il s’est arrêté : le voyez-vous maintenant ?

Mon compagnon m’avoua qu’il avait senti en ce moment son cœur battre l’alarme d’une façon peu agréable. Le lion, alors arrêté au milieu d’un espace nu, la tête tournée vers les chasseurs, les regardait avec une dédaigneuse indifférence. Son œil n’avait pas un éclair ; ses mouvemens