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À la tombée de la nuit, nous atteignîmes le lit d’un torrent appelé Tadali, alors à sec, et qui n’avait d’eau que sur un point où les pâtres ont creusé un puits assez profond. La tente fut dressée sur le sable, et bientôt les domestiques, qui nous avaient devancés de plus d’une heure, vinrent nous rejoindre ; ils pliaient sous le poids du gibier. Quant à nous, nous n’avions pas tiré un seul coup de fusil, par la raison que nous n’avions pas même vu un oiseau. Une heure plus tard, l’on nous servait à dîner. Les viandes étaient d’un goût parfait, que devait nous faire mieux apprécier un séjour de huit mois sur la côte arabe, pendant lesquels le régime de tous les jours se composait de pilaw, de mauvais poisson, quelquefois de chair de chameau, plus souvent de, chèvre ou de mouton qui pue le suif.

Au petit jour, nous étions déjà en marche. Ne connaissant pas le pays, nous fûmes quelque temps sans oser nous écarter. L’agent consulaire nous recommandait de ne pas trop nous aventurer au milieu des fourrés : à cette heure, nous disait-il, les panthères s’y mettent à l’affût près des sentiers que suivent les gazelles. D’ailleurs il n’était pas nécessaire de quitter le chemin pour trouver du gibier : les francolins avaient déjà quitté leur perchoir et couraient sur le sable des torrens ; les cimes des grands arbres étaient chargées de pintades qui s’envolaient par troupes en poussant des cris discordans. De loin en loin, nous pouvions voir de grandes gazelles immobiles sur la crête des collines. Derrière chaque buisson, un couple de béni-israïl (antilopes de Salt), charmans petits animaux dont les jambes ne sont pas beaucoup plus grosses que le tuyau d’une plume, et dont la tête est parée d’une touffe de longs poils fauves, qui se redressent sous l’impression de la peur, nous regardaient passer un instant avec une coquette curiosité, puis s’enfuyaient en poussant un ou deux petits cris. aigus comme un coup de sifflet. Cette vallée est peu riche en oiseaux, probablement à cause de la rareté des sources. Pourtant deux ou trois variétés de tourterelles et une grosse espèce de ramier roucoulaient dans les bois. Des pics à tête écarlate exploraient les troncs d’arbres morts en répétant leur triste refrain. Des coucals (coucous) aux yeux rouges comme le corail couraient d’un fourré à un autre fourré, à la recherche des serpens et des lézards dont ils se nourrissent ; enfin, des souïs-mangas splendides (cynniris splendidus) visitaient l’une après l’autre les touffes d’une sorte d’asclépias qui pousse dans le sable, dont le vent carde les graines ailées qui s’échappent de ses gros fruits mûrs, et dont les fleurs roses prit toujours une gouttelette de miel pour ces colibris africains.

Vers les neuf heures du matin, notre petite caravane atteignait une autre vallée nommée Saati, et que nous avions choisie pour rendez-vous de chasse. Une heure après la halte sous les ombrages de Saati, tout le monde nous avait rejoints, excepté deux hommes : le Grec Stéphen,