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en miniature, qui nous abritait d’un violent vent du nord, est l’unique port de Déssét, la perle des îles de la mer Rouge ; nous y passâmes la journée suivante. Nous étions mouillés précisément dans le cratère d’un volcan éteint, dont les parois, en s’affaissant sur un point, ont donné accès aux eaux de la mer, qui sont venues occuper le fond de l’entonnoir. Quelques cabanes et deux ou trois pirogues à sec sur la grève, des enfans nus qui gardent des chèvres, des hommes couleur de bistre, des femmes dont les bras sont chargés de bracelets de verre ou d’ivoire, et, dont tout le vêtement consiste en une peau de bœuf grossièrement tannée qu’elles roulent autour du corps ; quelques chiens, des grues noires, des hérons bleus, des aigrettes blanches, des ibis chevelus, ces oiseaux mystérieux de l’ancienne Égypte ; enfin de grandes cigognes immobiles sur les rochers qui protégent l’entrée du port ; autour du bassin, des montagnes de granit semées de mimosas seyâl (gommiers nains) ; au fond, une gorge qui traverse toute l’île et laisse voir une forêt d’avicennia[1] venue dans la mer, tel est l’ensemble du coup d’œil que présente cette jolie crique. Nous la quittâmes le surlendemain pour gagner Masswah, où nous touchâmes dans la nuit.


III

Quelques jours plus tard, l’agent consulaire de France dans ce port, M. D., nous proposait une partie de chasse dans les environs de Masswah, où abondent les troupeaux de gazelles. Nos compagnons devaient être deux Grecs établis dans le pays, un maître canonnier turc, un négociant indou, etc. ; nous devions emmener en outre sept ou huit domestiques abyssins et trois ou quatre chameliers. Le rendez-vous était à Mokollo, village en terre ferme, à une heure nord-ouest de l’îlot sur lequel est bâti Masswah. Le départ eut lieu le 8 janvier dans la soirée.

Ce jour-là, nous ne fîmes guère que deux heures de route, au fond d’une vallée assez large, entre deux montagnes dont le maigre feuillage des gommiers déguisait mal les flancs de pierre. Pourtant quelques jours de pluie avaient rafraîchi cette pauvre végétation : les rameaux des mimosas seyâl étaient d’un vert magnifique, ainsi que les rares touffes d’herbe qui poussent sur ce sol rocailleux. Des euphorbes étalaient au soleil leurs grandes fleurs livides ; des convolvulus paraient de leurs cloches blanches et jaunes les branches des nébèks (rhamnus lotus) ; les buissons de raks étaient plus feuillés. Le désert avait pris sa livrée de fête ; c’était la saison des amours pour les tribus de gazelles qui parcourent ces solitudes.

  1. Espèce de palétuvier.