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bouffées si faibles, qu’elles rident à peine la surface de la mer. Au jour, nous étions en vue du Djebel-ther, îlot plutonique dont les flots battent sans cesse les flancs de lave, et dont la crête laisse échapper de loin en loin de noires colonnes de fumée, qui prouvent que le volcan qui lui donna naissance ne s’est point encore refroidi sous le linceul de la mer. De longues files de goëlands quittaient la montagne et s’éparpillaient dans toutes les directions, rasant l’onde de si près, que le dessous de leurs ailes, d’un blanc pur, se colorait d’un magnifique reflet d’aigue-marine. Des pailles-en-cul traversaient le ciel à une telle hauteur, qu’ils eussent été invisibles sans le rayon du soleil qui dorait leur plumage de neige.

Dangouléh était plus mal. Elle eut le délire, et deux fois les matelots l’empêchèrent de se jeter à la mer : sans notre présence, son maître l’eût cruellement punie de cet accès de fièvre. L’enfant s’était assise ensuite au milieu de ses soeurs, chargées de la surveiller. Ses grands yeux noirs prirent un éclat étrange, et elle se mit à fredonner à mi-voix voix une longue chanson de son pays sur un air si triste, et dans les paroles de laquelle il y avait tant de regrets déchirans, que les autres esclaves ne purent retenir leurs larmes, et que nous fûmes obligés de nous éloigner de ce groupe : notre cœur se serrait. Cette chanson évoquait, dans l’imagination de la malade, la patrie avec tous ses fantômes aimés. Sa mère inconsolable, la hutte sous les rameaux fleuris du ouanzéh, l’arbre révéré des Gallas ; la source voilée par de doux ombrages, aux eaux de laquelle de grandes antilopes et de beaux oiseaux viennent boire vers le milieu du jour ; les champs de maïs auprès desquels les jeunes filles veillent en chantant pour en éloigner les colombes ; la forêt où vaguent le lion et la panthère noire, et que parcourent d’immenses bandes d’éléphans ; la nuit ramenant autour du campement de la horde les troupeaux de bœufs et de cavales rapides ; tous ces souvenirs si chers que l’agonie éveillait palpitans au fond de son cœur, l’enfant les saluait avec ivresse ; puis, brisée par toutes ces émotions, elle s’affaissa sur elle-même. Ses prunelles redevinrent ternes ; elle ne se leva plus, se plaignit plus rarement, et, bien que la vie n’eût pas encore quitté ses membres amaigris, son ame s’était envolée vers les solitudes natales à la suite de la radieuse vision.

Un peu avant midi, la brise fraîchit ; la mer se couvrit de moutons blancs, comme parlent les marins ; les pailles-en-cul quittèrent les hautes régions de l’air pour des couches plus basses, et le nakoudah secoua la tête d’un air mécontent : ces oiseaux sont aux yeux des matelots arabes un présage de gros temps. Quelques heures plus tard, nous nous engagions au milieu d’un dédale d’îlots, de bancs de sable, d’écueils où il eût été impossible de naviguer la nuit, et, avant le coucher du soleil, nous jetions l’ancre à un demi-mille d’un rocher dont le nom est Metbouah.